Olivier Sillig

Blog des Journées Littéraires de Soleure 2010, partie francophone

Liens avec le blog sur le Site des Journées Littéraires de Soleure : http://www.literatur.ch/Blog.555.0.html?&L=2

19.11.2010 Introduction rétrospective

Un peu avant que ne commencent les Journées Littéraires de Soleure, celles-ci mont contactées en me proposant d’y tenir, au jour le jour, la partir francophone du blog qu’ils avaient décidés d’instituer. J’ai donc débarqué avec l’ordinateur portable de ma fille et mon appareil de photos – la façon la plus légère d’intégrer in vivo les croquis que je songeais faire.

Si je sauvegarde aujourd’hui, ici, le texte du blog, c’est que, avec une certaine préméditation d’idée, j y’ai entremêlé un élément de fiction, même de fiction fantastique, qui rattache mon texte à la part de ma production que je considère comme littéraire et romanesque.

15.11.2010 : Reprise : 16.05.2010 - Dimanche 16, 22 heures 07: Le Grand Timonier / le Blogueur francophone

Le Grand Timonier a dit : quand un blog est terminé, il vaut mieux le lire en rétablissant l’ordre chronologique.

Mao Tsé-toung

Mon blog est terminé.

Olivier Sillig

C’est chose faite (15/11/10)

 

 

11.05.2010 - Mise en garde du blogueur francophone

Olivier Sillig

Jusqu’à, très étonnamment, deux ou trois ans, j’ai toujours été dysorthographique. Si mon orthographe s’est soudainement améliorée, ici l’urgence d’un blog in vivo lui messiéra tout de même.

Lecteur(s), vous qui passez ici, soyez indulgents.

 

13.05.2010 - Bonjour Soleure / Le blogueur francophone

Bonjour Soleure ! je ne déploie pas mon parapluie, il ne pleut pas.

La première fois que j’ai débarqué chez toi, c’était pour présenter mon premier court métrage. J’y avais presqu’aussitôt croisé des gens de la télé. Ils s’étaient présentés. Ils avaient déjà vu mon film, ils m’ont dit y avoir beaucoup ri. Cela m’a plutôt inquiété, je sortais de la projection d’un long métrage où la salle avait aussi beaucoup ri, or il s’agissait d’un film sur un inceste. Si nous y avions beaucoup ri c’est que les dialogues y étaient totalement ridicules. J’imaginais le pauvre auteur, quelque part dans l’obscurité de la salle.

Dans la même journée d’alors, j’ai assisté pour la première fois à une projection en salle de mon court métrage. Le public a ri, j’ai compris pourquoi, je n’en ai pas été choqué, plutôt content : j’avais réalisé un film, drôle aussi, sans l’avoir recherché (contrairement aux consigne que nous donnera ultérieurement la télé dans ses séminaires de sitcom : soyez drôles !).

Je sais depuis que, malgré les vingt-six enfants qui meurent dans les premières pages du roman que je viens présenter cette année, il a des passages où mes lecteurs rient, et c’est aussi tant mieux. À vérifier ces jours avec sa traduction, auprès de mes lecteurs alémaniques.

Ah ! En sortant du train, j’ai vaguement croisé un grand type que j’ai l’impression de connaître, mais je n’ai aucune idée d’où. Va-t-il aussi à Soleure ?

Olivier Sillig

 

 

13.05.2010 - Remise du prix Schiller à Philippe Jaccottet / le Blogueur francophone

Quand nous étions petits, une fois par an, « La Paternelle » donnait un spectacle pour et avec enfants, en général un conte de Perrault. Maman, qui n’avait pourtant pas de difficultés économiques, nous prenait toujours des places au poulailler. D’où j’apercevais en entier les enfants, mais que de demi-adultes. De là me vient quelquefois l’impression que les adultes s’arrêtent au niveau de la ceinture ?

deux spectateurs

Mais ici, au Stadttheater, je suis au premier balcon, avec des sièges un peu spartiates, mais la vue y est bonne. Au-dessus, il n’y a qu’un étage de galerie. Plus tard, pendant l’apéro, escaladant les escaliers d’époque qui se prolongent en spirale, m’est venu le soupçon qu’ils aient une fois muré le paradis : un moyen magique pour lutter contre le retour du religieux, ou une façon de faire des économies de chauffage ?

Ma compréhension de l’allemand est déplorable – j’en ai honte –, sauf lors de l’intervention d’un des orateurs dont la diction et l’accent correspondent à ce que j’ai entendu à l’école ; j’en saisi alors des bribes.

un orateur

Certains ont trouvé que la remise du prix manquait un peu de protocole. Il aurait fallu un maître de cérémonie qui aurait présenté les intervenants. Et l’enveloppe A4 avec le diplôme a été posé sur la table à la sauvette, comme le dealer de nuit te refile ta boulette de coke. Certains étaient prêts à une « ovation debout », l’occasion a manqué.

François Jaccottet

C’est amusant, Philippe Jaccottet, quand il cite des passages de ses poèmes, les dit un peu comme Ungaretti (qu’il a traduit) au même âge : avec une emphase sobre et énergique.

Les gens ont trouvé beau, mais très noir. Moi, qui ne connaissais pas Jaccottet, cela m’a plutôt rassuré. Au vu de ce qui avait été dit avant, je me l’imaginais bucolique et restaurateur d’un ordre rassurant (quand j’avais 12 ans, la mère de ma marraine avait parlé de Sartre : cet homme qui avait fait tant de mal à notre jeunesse, et je m’étais demandé comment un écrivain pouvait être accusé d’une telle responsabilité). Or Jaccottet, du haut de son grand âge lucide, nous a parlé d’orages, récents et anciens, et de chaos. Après, quelqu’un a trouvé qu’il avait un peu exagéré avec les étoiles, les étoiles et les astres se portent très bien, du moins dans notre univers proche où ils respectent une belle ordonnance chronométrique.

Le lauréat

A l’apéro, les petits fours étaient si gros qu’ils exerçaient un effet modérateur sur nos conversations.

Au repas des auteurs, tout était bon, l’ambiance aussi ; même le café (des traditions se sont perdues).

Dehors, devant la porte, attaché pas sa liasse (cette bride de cuir dont je ne retrouve plus le nom), attendait son maître un chien trapu, court et massif, un de ces chiens qui d’habitude sont roses et chauves, mais qui ici était noir. Sous prétexte de retrouver ceux avec qui je devais regagner l’hôtel, je suis retourné dans le restaurant pour essayer d’imaginer à qui pouvait appartenir le curieux animal, en vain.

Olivier Sillig

P.S. : À la gare déjà, apprenant que j’allais tenir le blog francophone des Journées, un ami m’a raconté un épisode en me précisant bien que je ne devais pas le retranscrire. Cela s’est reproduit plusieurs fois pendant la soirée, plombant ou stimulant la conversation. Et je ne sais pas trop dans quel sens je dois le prendre. Ce n’est en tous cas pas dans cette direction que je comptais aller. Surtout que je suis en train de relire « L’insoutenable légèreté de l’être » où Kundera imagine déjà que l’histoire littéraire de son pays disposera une fois d’archives fantastiques sur tous les écrivains et intellectuels de l’époque, grâce au procès-verbaux des micros d’espionnage.

 

 

15.05.2010 - 14.5.10: Le Roman des Romands, Yasmine Char / le Blogueur francophone

« Votre morale serait que la vengeance est plus forte que la mort ? », la réponse est non, mais je n’ai pas entendu la suite. Un peu malgré moi il m’est arrivée de me retrouver derrière une caméra, peu à peu j’y ai appris à garder un œil dans le viseur et l’autre à observer in vivo ce qui précède l’immédiate entrée dans le champ ; je suis un reporter trop inexpérimenté pour déjà savoir écouter d’une oreille et écrire de l’autre. Les collégiens présente le roman de Yasmin Char, l’interviewent, la commentent. Outre qu’ils sont émouvant, c’est frais, on sent à peine le moule scolaire romand. Comme au slam, les adolescents me surprennent ; quelquefois, dans une vague d’optimisme, je me dis qu’ils sont l’avenir de l’homme.

Trois des ados:

Par contre c’est curieux, cette nouvelle façon de faire, de plus en plus courante qui veut que même la tribune, même l’auteur, s’applaudissaient à la fin en même temps que le public. Souci d’universalité ?

L’auteure / une spectatrice

Olivier Sillig

 

 

15.05.2010 - 14.5.10 : Pause réchauffante au Kreuz / le Blogueur francophone

Je suis seul à une table et observe. C’est amusant, il y a toujours quelques personnes qui arborent le costume de l’écrivain. Je ne sais pas comment se doit d’être le vrai costume de l’écrivain, mais on le reconnaît à comment il est porté. À Lausanne, je connais un poète paré depuis toujours de son costume de poète, maintenant cela se remarque un peu moins parce qu’il a pris de l’âge et que, vieillissant avec lui, le costume s’est estompé.

Olivier Sillig

à la table alémanique de l’AdS

 

 

15.05.2010 - vendredi 14 : Philippe Jaccottet lit les poètes de ses anthologies / Le Blogueur francophone

Aujourd’hui, cela me frappe, Philippe Jaccottet est plus jeune que mon père, pourtant je sens qu’entre lui et moi, un siècle nous séparent, je ne sais pas quel siècle, mais un siècle entier. Malgré les craintes qu’il a émises hier sur la route des astres, j’ai l’impression que, dans son siècle à lui, il est très sûr de ses mânes, de ses pairs, dont il lit les textes, de ses rejetons sans doute, une matrice de certitudes où les mots sont classés, accordant à certains de ces mots plus de valeur qu’à d’autres. Alors que je doute des miens ; tous nos livres sont comme les pains, variés, des boulangers.

Olivier Sillig

 

 

15.05.2010 - Vendredi 14, 18 heures: rencontre avec les médiateurs littéraires étrangers / le blogueur francophone

Le plus curieux et, en fait, amusant séminaire auquel j’ai participé : un tour de présentation, soixante personnes qui se présentent une à une, et c’est fini. C’est suivi d’un apéro où, le vin aidant, même moi j’établis des contacts.

Olivier Sillig

 

 

15.05.2010 - Vendredi 14, 20 heures: Le repas des francophones / le Blogueur

Là, ça a un peu merdé. Déjà bien plus de gens que de francophones s’y étaient annoncés. Mais, les tables étant réservées pour 18 heures, quand nous sommes arrivés après 20 heures, nous avons dû nous disperser. J’ai un peu navigué.

Je discutais, j’écoutais. Mes yeux se sont arrêtés sur une brive (cette longue lanière de cuir qu’on passe au cou des animaux et dont je ne retrouve pas le nom) qui battait en silence le talon d’une botte anthracite, je ne voyais pas la main, ni son propriétaire, mais j’ai aussitôt su qu’il s’agissait de la sangle du chien-rat d’hier : la sangle était terminée par une main de Fatma hindoue en argent, l’index et le pouce formant mousqueton, quand le collier du chien d’hier portait un anneau d’argent fait d’une main aux doigts regroupés. Je suis allé voir dehors, pas de chien ­- c’est normal puisque le maître avait le lien avec lui. Je suis parti pisser, mais plus trace de la botte, de la main et du maitre.

Olivier Sillig

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16.05.2010 - Samedi, 11 heures: La tente obscure / le Blogueur francophone

Si je n’avais apparemment pas été le seul auteur francophone à avoir enregistré pour la tente obscure, je ne serais sans doute pas allé spécialement m’écouter. J’ai bien fait, j’y étais attendu. Une femme m’a guidé par son épaule, peut-être à la chaise d’honneur, puis un homme m’a parlé dans un français presque parfait. J’ai longtemps cru qu’il était debout et penché, alors qu’il était assis à côté de moi.

Le tout a été un moment extraordinaire, fort d’émotions, à commencer par une sorte de vertige sonore et visuel, avec la rémanence de motifs cachemires, de fractales et d’écrans colorés stimulés sans doute par une fin de soirée légèrement assez arrosée. Puis l’estimation du public présent : qui étions nous ? combien ? nombreux ? situé où dans l’espace? Puis mon texte, je croyais avoir assez mal lu et mal enregistré, je n’en suis plus convaincu. J’avais choisi le passage où mes baladins accueillent dans leur carriole, de nuit, une jeune inconnue, et découvrent au matin qu’elle est totalement aveugle, sans même la trace d’yeux. Dans la tente, c’est avec ses sens à elle que nous découvrons mon texte. Après, le modérateur pose quelques questions sur le roman. J’explique qu’il s’agit beaucoup d’une histoire sur l’identité, l’intégrité des personnes et leurs identités sexuelles. Il dit alors qu’une fois accepté le fait d’être aveugle – je comprends comme d’être né blond ou comme d’avoir de l’arthrose de la hanche – lui s’intéresse beaucoup plus aux questionnements plus universels, par excellence ceux de l’identité sexuelle. Y repensant plus tard – ce qu’évoque déjà intuitivement mon roman -, j’imagine que, par leur particularité, les aveugles offrent sans doute un attrait sexuel spécial, je me dis que cela doit être quelquefois un plus dans leur possibilité de drague. Avec aussi, peut-être, un plus dans ce qu’ils peuvent donner, et recevoir.

Après nous passons dans le camion de la ligue suisse des aveugles. Il y a deux jeunes adolescents, une fille et un garçon. Il est derrière un ordinateur. Je lui tends ma clé USB avec le texte du blog. Il le lit avec ses doigts sur la ligne de braille électromécanique. Il lit presque couramment, achoppant juste sur les mots qu’il ne connait pas, avec ce français qu’il a viens d’acquérir à l’école.

Olivier Sillig

 

 

16.05.2010 - Samedi 14 heures: Ma lecture / le Blogueur francophone

À la fin des 45 minutes, je suis plutôt content, les gens ont été vigilants, j’étais concentré et attentif. Ils ont rit quelquefois, réagi, j’ai senti des vibrations.

Pourtant ma modératrice a trouvé que j’étais, ou avançait, un peu à la retirette (c’est moi qui utilise le mot, en Suisse romande, il désigne un comportement, ou une attitude, sexuelle). Son mari lui a dit qu’elle aurait pu être plus incisive, mais le troisième larron lui a fait remarquer que hier soir au bistrot, avec sa stratégie à lui, ils n’avaient pas obtenu de meilleurs résultats. Depuis, auprès d’eux et d’autres, je mène l’enquête. Pendant mes 45 minutes, j’ai pourtant eu l’impression, par moment, quelquefois pris au dépourvu, d’avoir presque été trop crû, trop intime ; quelqu’un dans le public a même fait : oh !

Comme souvent peut-être, on m’a trouvé froid et distant ? Cela confirme quelque chose que j’ai quelquefois l’outrecuidance de dire, et de croire : derrière un certain narcissisme, je n’ai pas d’Ego. Je (moi) n’existe pas. Sauf à travers mes livres. C’est peut-être bien pour eux (mes livres). Et, peut-être, à terme, pour moi ?…

Je veux revenir sur un détail, juste avant que cela commence. Auparavant j’avais exprimé le désir de lire debout. La régisseuse son m’installe un pied. La porte de la salle de séminaire est ouverte, des gens parlent à l’extérieur. L’ombre de l’un d’eux se dessine contre la porte, une ombre longue, l’ombre d’un grand manteau, un cordon, et l’ombre d’un chien (court, costaud et trapu) ; l’origine d’une des voix que j’entends vient peut-être de ces ombres.

Essayant de me reconcentrer sur ce son, je voudrais suggérer à régisseuse de faire passer le cave (ce fil électrique qui conduit le son, mais je n’arrive pas à lui dire que je ne trouve plus le mot) derrière le pitre (la table de travaille où nous allons faire notre présentation, mais je n’ose pas lui dire que je ne trouve plus le mot), je m’explique alors par gestes.

Je reporte mes yeux sur la porte, l’ombres a disparu, elle n’est pas entrée ici avec son chien. Face au micro, je lis quelques ligne de mon texte, le son est bon, je le dis à haute voix à la régisseuse ; elle m’envoie un sourire, qui me parait rassuré.

Olivier Sillig

 

 

16.05.2010 - Samedi, 11-23 heures : Multiples lectures / le Blogueur francophone

J’assiste, s’enchaînant, à de nombreuses lectures, francophones ou bilingues. En général, comme public, je ne suis pas fan de ce genre d’exercice, mais, avec l’ambiance du festival, j’y prends plaisir et curiosité.

Aujourd’hui, je pense que mes collègues sont du même siècle que moi, peut-être du même millénaire. Mais je m’étonne combien ces pairs, du même siècle ou millénaire que moi, se truffent souvent de références. Ni Dieu ni maître ne sont pas toujours passé par là ! Je n’ai pas de pères, pas de mentor, je suis une éponge (titre de mon blog sud-africain).

Interrogée sur sa traduction, Sylvie relève les propriétés de l’objet, son carton dur face à la mollesse francophone de nos livres. Après, je passe à la libraire pour vérifier, au-delà du sien et du mien, c’est vrai, mais cela ne me déplait de loin pas. Anne et moi, nous poursuivons en privé le débat sur son livre, c’est enrichissant, je l’en remercie. Hédi parle de la construction de son livre, de sa technique et de ses stratégies, c’est constructif. À un moment, il cite les propos d’un de ses personnages, tenus en 1930. Je les rapporterai à ma fille, même s’ils ne correspondent pas du tout à sa tasse de thé professionnelle : « Un journaliste se doit d’être curieux comme un pot de chambre.»

Lecture d’Hédi Kaddour:

La tribune:

Lectures multiples, en vrac:

Olivier Sillig

 

 

16.05.2010 - Dimanche 16, 11-15 heures 35 : Dernier jour / le Blogueur francophone

La fatigue se lit sur les visages, certains foies semblent crispés, les Journées s’achèvent au fil de l’eau, à raz la grande fenêtre de la Salle des Colonnes, où je viens, de mes oreilles, soutenir les poètes italophones – hélas les deux haut-parleurs n’aident guère l’intelligence de celles-là (mes oreilles). Me manquent aussi des habitudes, et peut-être des clés, même si je crois cette poésie être plus simple et m’être plus proche que d’autres. Un peu plus loin dans la rangée des spectateurs, j’aperçois un poignet en cuir lisse, un jabot de dentelle, prolongé d’une bague en argent ciselée qui, dépassant la première, monte à l’assaut de la deuxième phalange d’un index large, à l’ongle laqué d’un rouge bordeaux presque noir. La bague est du même style que le mousqueton en forme de main de Fatma au bout de la truc (je ne sais plus comment cela s’appelle) du chien-rat, mais je ne vois rien d’autre de son propriétaire. Pas même quand la session se termine.

Je zone encore un peu autour du Landhaus, puis, après un crochet par l’hôtel, je me laisse glisser vers la gare, chargé de tout ce que j’avais au départ, dont un ordinateur portable prêté et un appareil de photo pour le blog, plus un carton à bouteilles plein et la liasse de billets de mes honoraires bienvenus. Je suis content.

Arrivé trop tôt à la gare, je bois d’abord une bière avec un des traducteurs présents au séminaire Pro Helvetia, puis, sur le quai numéro 1, je m’arrête encore pour discuter avec un collègue, un francophone dont la route passe par Bâle. Il me parle de ma présentation de samedi, rejoignant immédiatement mes préoccupations d’hier (cf. ma lecture…). Il m’a trouvé trop réservé, pas assez sûr de moi et de mon produit, mon roman. Je lui fais part de mon état de perplexité. Il en dit plus, je l’écoute avec intérêt.

Mais mes yeux, eux, tombent sur une cabine téléphonique. Le type est là. Enfin là ! dans son manteau en cuir noir et lisse, avec sa cordelette tressée (dont j’ai oublié le nom) et son chien-rat. Il est en plein dans une conversation agitée, dont je n’entends rien à cause de la porte vitrée de la cabine.

J’interromps mon collègue :

– Tu as vu cette ciboulette ?

Je veux bien sûr dire autre chose, mais le mot ne vient pas. Je veux dire ombre, ombre chinoise – me remonte, approximatif, le mot anglais shadow. Et c’est faux et idiot, puisque maintenant, le type est bien là, en chair et en os, et causant avec animation et colère, au-dessus du regard impassible de son chien-rat. Je n’entends rien de ce qu’il dit. Je n’entends rien pourtant je découvre au même instant que, entre lui et nous, il n’a pas de vitrage, car, en fait, il ne s’agit pas d’une cabine mais d’un téléphone public, un poste à l’air libre sur une console en alu éloxé. Mais là, tout à coup, sans du tout savoir qui est ce type, pourquoi il est là, ce voleur de m …, je sais au moins d’où il sort. Il sort d’un de mes manuscrits, « La Nuit de la musique », il y est un punk goth très sophistiqué, accompagné de son amoureuse, une jeune fille au crâne à demi-rasé, qui par amour vient de quitter un milieu baba cool – c’est peut-être contre elle que, désormais, il hurle sourdement dans le cornet ?

Je crie à mon collègue, celui qui doit rejoindre la France via Bâle :

– Il faut que je me…

Mais le mot ne vient pas, je le saute et ajoute :

– … de toute turgescence !

Sous un ciel consterné, étiolé, voilà maintenant que j’emploie le vocabulaire des poètes ! C’est soudain tout ce qui me reste ! Ce n’est, bien sûr, pas turgescence que je voulais dire, c’est : très rapidement – comme le service d’accueil des grands hôpitaux.

Je.. veux… mais ça ne vient pas, alors je me tais, désigne les caténaires, la voie, et le quai suivant.

Je lance un geste expressif et j’arrive à ajouter :

– Le… le cheval de fer…

Je veux dire le truc qui doit me ramener à Lausanne.

J’esquisse un salut, je plonge dans le passage souterrain, j’émerge, et je bondis dans le truc-qui-doit-me-mener-à-Lausanne et qui démarre tout doucement. À travers les vitres oblongues des portes automatiques du truc-qui-me-mène-à-Lausanne, j’aperçois le voleur, le punk noir, il hurle toujours, mais maintenant contre son chien-rat (court, costaud, trapu, et impassible). Je n’entends toujours rien, mais les vitres sont en vrai verre, et le truc-qui-accélère-en-direction-de-Lausanne est bien insonorisé. Je me laisse tomber sur un siège, je sort mon calepin « genre Madagascar » et tire une plume de mon épaule.

Quelquefois, la poésie peut peut-être servir à meubler le silence des mots quand on n’a plus rien à dire ; je me suis mis à en écrire […]

Olivier Sillig

 

 

16.05.2010 - Dimanche 16, 22 heures 07: Le Grand Timonier / le Blogueur francophone

Le Grand Timonier a dit : quand un blog est terminé, il vaut mieux le lire en rétablissant l’ordre chronologique.

Mao Tsé-toung

Mon blog est terminé.

Olivier Sillig

 

 

© Olivier Sillig / Journées littéraires de Soleure, 2010

 

 



Courriel de l'auteur: olivier.sillig@users.ch
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V 13.05.2011 (13.05.2011-19.11.2010)