© Ill.: O.Sillig , Grom-Gorom, 13.3.1999                                                       

  O.Sillig , Grom-Gorom, 13.3.1999Olivier Sillig

Petit d'homme


— S’il vous plait, dis-moi, je suis où ici ?

— Hein !

— Dis-moi. Je suis où ici ?

Je ne l’avais pas entendu approcher. Il avait contourné la voiture et il avait attendu que j’aie terminé. Je m’étais arrêté pour satisfaire un besoin naturel, discrètement en contemplant le paysage, la campagne embuée, le lac, les Alpes françaises toutes blanches dans l’air limpide. Il faisait très jeune, mais les gamins africains ont souvent l’air plus jeune qu‘il ne le sont. Il grelottait.

— Tu débarques d’où, toi ?

 Il a haussé les sourcils vers le ciel et montré dans le champ derrière nous, de l’autre côté de la route, un de ces gros ballots de foin circulaire enveloppés dans du tissu organique blanc.

— S’il vous plait, tu veux bien me dire où je suis ?

J’étais trop stupéfait pour résister :

— Tu es en Suisse.

Ça, il avait l’air de savoir. J’ai eu l’image fugace d’un fuselage d’avion avec sa croix fédérale rouge et blanche, comme si c’était possible qu’il soit réellement tombé d’un avion quand un des trains d’atterrissage où il se serait réfugié s’était ouvert – l’aéroport n’est pas loin.

Il continuait à claquer des dents. J’ai dit que d’abord il lui fallait boire un bon thé chaud. Je l’ai fait grimper dans la voiture et nous nous sommes arrêté au premier village. Nous avons bu notre thé, il a cessé de trembler. J’avais aussi commandé un sandwich et une tablette de chocolat, il les a mangés volontiers. J’avais pris une carte dans la boîte à gant, je l’ai dépliée sur la table, j’ai montré Lausanne, Genève, l’aéroport, Nyon, Coppet, le lac que nous avions aperçu. De l’index, j’ai dessiné la route hypothétique d’un vol long courrier en provenance du Sud, survolant le jura pour revenir sur l’aéroport. Savait-il où aller ? J’ai proposé de le mener quelque part, mais ça ne l’a pas intéressé.

Une fois dehors, il a fait un geste indiquant qu’il partirait à travers champ. Ses mouvements, son assurance frêle et souple enlevaient l’envie de protester. J’ai sorti un bout de papier, j’ai mis mon nom, mon adresse à Lausanne, ainsi que mon numéro de téléphone. Il m’a demandé une autre feuille. Par habitude du crayon, il a failli lécher la pointe de mon stylo.

D’une écriture très ronde et appliquée, il a inscrit :

« Dom. »

Au-dessous, il a ajouté :

« Au revoir. »

Avec un grand sourire rieur et content, il m’a rendu le papier. Puis il m’a salué en inclinant la tête et en posant les doigts de sa main droite sur son cœur, mais avec légèreté et sans cérémonie. Et il est parti.

Je l’ai rappelé, par son nom que je me suis risqué à compléter :

– Dominique.

Mais il a protesté, alors j’ai rectifié :

– Dom.

Dom comme Petit d’Homme.

J’ai sorti un billet de vingt francs, je le lui ai tendu, il l’a pris, il a fait merci et il est reparti, pour de bon, à travers champ.

Je ne l’ai jamais revu.


***

              

 vers les autres textes >>>


©Olivier Sillig, textes et images, tous droits de reproduction réservés.

Courriel de l'auteur: olivier.sillig@users.ch
Lien avec la H-page de l'auteur: http://www.perso.ch/olivier.sillig


Master in ..\02_Nouvelles éparses  V: 11.10.2011 (17.07.2011 - 8.1.2004)