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La Marche du Loup, Le Temps, Samedi
culturel, 4 décembre
2004 |
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Lien: http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=3195
SAMEDI CULTUREL
Le Temps I samedi culturel I Article
roman
Retour à l'an mil
Olivier Sillig subvertit le roman historique avec une belle
histoire d'enfants et de loups.
Olivier Sillig
La Marche du loup.
Ed. Encre fraîche (Genève), 184 p.
En 1995, le Lausannois Olivier Sillig publiait Bzjeurd, un premier
roman étrange et séduisant, qui continue sa vie
secrète dans le ghetto
de la science-fiction depuis sa reprise dans la collection de poche
Folio en 2000. Qu'adviendra-t-il de La Marche du loup, deuxième
roman
qui a mis des années à trouver un éditeur? Bien
que situé en l'an mil,
ce n'est pas vraiment un roman historique. Il tient plutôt du
conte
cruel, avec un fond de réalisme rugueux. Au-delà des
étiquettes, ce
texte prenant mérite de trouver des lecteurs.
Donné comme la transcription d'un manuscrit ancien
trouvée dans une
épave de voiture, le texte que nous lisons aurait
été recopié sur les
murs d'un couvent en ruine. Il s'ouvre abruptement: par une nuit de
Noël, une femme accouche de jumeaux dans la neige, alors qu'un
incendie
ravage le village. Elle meurt, ses «souriceaux» sont
sauvés par leur
instinct de survie. Les hommes sont à la guerre, les femmes
à la peine.
C'est un temps déraisonnable. Wolfgang et Luisa grandissent au
hasard,
gardés par une débile, Martha. Leurs jeux sont violents,
meurtriers.
Olivier Sillig jette les événements en phrases
brèves, presque sans
verbes, lançant des images en gerbe (peut-être parce qu'il
est
également cinéaste).
A côté des humains, la forêt et le monde animal
mènent leurs vies
autonomes. Parfois, leurs chemins se croisent. Wolfgang, l'enfant roux
et muet, fait alliance avec les loups. Avec eux, il entretient des
rapports justes et rudes, loin des folies de son espèce. Plus
tard, il
se fait un allié d'un pendu qu'il a sauvé du gibet. Sous
le nom du Loup
rouge, il devient chef de bande. Viols, pillages, meurtres, beuveries.
Parfois, les brigands épargnent une femme, un
bébé, redistribuent leur
butin. Hivers de gel, étés brûlants: on pense
à la guerre dans les
Balkans.
Plus tard se nouent des rapports complexes entre un enfant-duc, un
hermaphrodite et le Loup rouge, une rivalité meurtrière,
le combat pour
une femme, une passion incestueuse, un enfant qui devait mourir et
qu'un veneur a sauvé: bref, des éléments qui
appartiennent au fonds des
contes, de la mythologie nordique. Mais l'auteur se les approprie avec
une belle énergie. Après avoir mené son
récit à toute allure, il boucle
le cercle de la guerre et des meurtres en laissant entrevoir une petite
lueur d'apaisement dans l'égarement des hommes.
La nouvelle maison d'édition genevoise (http://www.encrefraiche.ch)
qui publie ce beau livre se présente comme une association dont
le
comité est formé de libraires, bibliothécaires,
étudiants ou simples
lecteurs. Sans but lucratif, elle choisit des livres
«suffisamment
originaux pour effrayer un éditeur traditionnel». Son
slogan: place aux
auteurs! Ce qui signifie qu'ils reçoivent un à-valoir et
que leurs
droits s'élèvent à 50% des
bénéfices. Une structure associative qui est
à la fois un atout et une limite: les décisions sont
longues à prendre
et à exécuter, si bien que le catalogue ne comporte que
deux titres qui
peinent à trouver distributeur. Ce bel effort utopique
mérite un salut!
Isabelle
Rüf
Samedi 4 décembre 2004
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