24 Heures, jeudi 30 décembre 2004, Encre Fraîche ravive la SF romande |
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Heures,
jeudi 30 décembre 2004, page 11
ÉDITION Une maison
d’édition adopte
généralement la forme juridique d’une entreprise La
première originalité des éditions
de I’Encre Fraîche, dont le siège est à
Genève, est d’avoir choisi le statut associatif.
N’importe qui peut donc participer à cette expérience
éditoriale simplement en
devenant membre de cette association créée par des
bibliothécaires, des libraires,
des étudiants et des passionnés de lecture.
Autre
originalité, et
pas des moindres : l’Encre Fraîche a créé une
charte qui garantit à
l’auteur une rétribution plus importante que celle qu’il aurait
eue ailleurs;
cette rétribution peut aller jusqu’au double. L’Encre
Fraîche se propose de
publier des «livres pour lecteurs exigeants, qui ont envie de
sortir des rails
de lecture facile pour s’arrêter à une petite gare
peinarde en pleine
campagne», selon la jolie expression de Madame Claire Junod, qui
occupe la
fonction de secrétaire de l’association.
La
première motivation
est de publier d’excellents manuscrits d’auteurs romands qui restent
non publiés
en raison de leur originalité. Des textes atypiques. Car en
littérature, comme
en cinéma ou en chanson, il n’est pas facile de se faire
connaître lorsque l’on
utilise un moule non standardisé. Plusieurs manuscrits sont
aujourd’hui en
lecture. Pour son lancement officiel, l’Encre Fraîche publie
simultanément deux
livres choisis avant tout pour leur qualité littéraire.
Des textes forts,
marquants, insolites, un brin dérangeants. Un plaisir acide et
méchant de
Françoise Roubaudi donne à lire quinze récits
fantastiques attachés à des
individus en train de glisser dans la solitude, la folie ou la mort.
Une
galerie de portraits de personnages si naturellement
détraqués que l’on se
prend à se de mander où se cache la faille, chez nous.
L’autre livre, La marche du loup, est un roman de
l’auteur lausannois Olivier Sillig qui, après son roman de
science-fiction
Bzjeurd (Gallimard, Folio SF), flirte maintenant avec les limites de
l’Heroic
Fantasy. Sur les murs d’un couvent de puis longtemps détruit, on
dé couvre un
texte en allemand ancien. Écrit en lettres de sang, ce texte
raconte
l’affrontement de Wolfgang, dit le Loup Rouge, et de Maria, cruel duc
hermaphrodite.
Dans un
style très
dépouillé, descriptif, visuel, en phrases brèves
souvent sans verbe, comme des
flashes, les faits sont jetés sur les murs, à la va-vite.
Pas le temps de
réfléchir à la construction de la phrase.
L’important est de dire. Dire la
cruauté de ces temps barbares, la violence et la mort
omniprésentes, le peuple
toujours victime, massacré par les brigands du Loup Rouge ou
pendu par les armées
du duc. Tout est dualité : jumeaux, compagnons
inséparables, même amante
partagée par les deux chefs de guerre. La marche du loup par son
rythme lancinant,
la musique de ses mots, les événements bizarres qui le
parsèment appartient
ouvertement au registre des récits fantastiques. Un livre
envoûtant.
Jean-François
Thomas