V: 08.07.2005

24 Heures, jeudi 30 décembre 2004, Encre Fraîche ravive la SF romande


24 Heures, jeudi 30 décembre 2004, page 11

Encre Fraîche ravive la SF romande

Basé à Genève, ce nouvel éditeur défend I’atypique et I’exigeant.

ÉDITION Une maison d’édition adopte généralement la forme juridique d’une entreprise La première originalité des éditions de I’Encre Fraîche, dont le siège est à Genève, est d’avoir choisi le statut associatif. N’importe qui peut donc participer à cette expérience éditoriale simplement en devenant membre de cette association créée par des bibliothécaires, des libraires, des étudiants et des passionnés de lecture.

Autre originalité, et pas des moindres : l’Encre Fraîche a créé une charte qui garantit à l’auteur une rétribution plus importante que celle qu’il aurait eue ailleurs; cette rétribution peut aller jusqu’au double. L’Encre Fraîche se propose de publier des «livres pour lecteurs exigeants, qui ont envie de sortir des rails de lecture facile pour s’arrêter à une petite gare peinarde en pleine campagne», selon la jolie expression de Madame Claire Junod, qui occupe la fonction de secrétaire de l’association.

La première motivation est de publier d’excellents manuscrits d’auteurs romands qui restent non publiés en raison de leur originalité. Des textes atypiques. Car en littérature, comme en cinéma ou en chanson, il n’est pas facile de se faire connaître lorsque l’on utilise un moule non standardisé. Plusieurs manuscrits sont aujourd’hui en lecture. Pour son lancement officiel, l’Encre Fraîche publie simultanément deux livres choisis avant tout pour leur qualité littéraire. Des textes forts, marquants, insolites, un brin dérangeants. Un plaisir acide et méchant de Françoise Roubaudi donne à lire quinze récits fantastiques attachés à des individus en train de glisser dans la solitude, la folie ou la mort. Une galerie de portraits de personnages si naturellement détraqués que l’on se prend à se de mander où se cache la faille, chez nous. L’autre livre, La marche du loup, est un roman de l’auteur lausannois Olivier Sillig qui, après son roman de science-fiction Bzjeurd (Gallimard, Folio SF), flirte maintenant avec les limites de l’Heroic Fantasy. Sur les murs d’un couvent de puis longtemps détruit, on dé couvre un texte en allemand ancien. Écrit en lettres de sang, ce texte raconte l’affrontement de Wolfgang, dit le Loup Rouge, et de Maria, cruel duc hermaphrodite.

Dans un style très dépouillé, descriptif, visuel, en phrases brèves souvent sans verbe, comme des flashes, les faits sont jetés sur les murs, à la va-vite. Pas le temps de réfléchir à la construction de la phrase. L’important est de dire. Dire la cruauté de ces temps barbares, la violence et la mort omniprésentes, le peuple toujours victime, massacré par les brigands du Loup Rouge ou pendu par les armées du duc. Tout est dualité : jumeaux, compagnons inséparables, même amante partagée par les deux chefs de guerre. La marche du loup par son rythme lancinant, la musique de ses mots, les événements bizarres qui le parsèment appartient ouvertement au registre des récits fantastiques. Un livre envoûtant.

Jean-François Thomas