Olivier Sillig 

Six point cinq deux deux

Illustration: Olivier Sillig, L'Aurochs et son abécédaire, 1992      .

Montage photo, 1970&1986

Festival "Les Urbaines", Théâtre Arsenic, 6 décembre 2002, minuit. Spectacle performance de et par Alberto Grozio.
Grande salle, comble. La scène est obscurcie. Bruits amplifiés et rythmés de gouttes d'eau. S'allume un éclairage vertical qui rencontre d'abord un goutte-à-goutte à l'origine des bruits, puis une chaise et un micro. Alberto Grozio entre. Il s'avance, sort de sa poche une liasse de notes volantes, les consulte, s'approche du micro et lit, lentement, et clairement :
— Uno punto zero uno zero !
Il se recule, s'assied sur la chaise, ramasse un paquet de cigarettes, en allume une, se relève, revient vers le micro, jette un œil sur ses fiches et reprend :
— Uno punto zero uno uno ! Uno punto zero uno due ! Uno punto zero uno tre.
Etc., etc. Et ainsi de suite, lentement.
À "uno punto due sei due", je devine qu'il s'arrêtera à sept.
À "due punto tre zero zero", je me tourne vers mon voisin, un jeune homme qui, dans la pénombre diffuse, paraît mignon. Lui aussi s'ennuie ferme.
Je chuchote :
— Pendant ce temps, vous voulez que je vous branle ?
Cela aurait dû rester une boutade, mais lui, sans se tourner vers moi, secoue discrètement mais positivement la tête, et même, décroche sa ceinture. Je fais le reste.
Quand ma main rencontre sa verge, celle-ci s'est déjà à demi déployée. Elle se révèle de dimension et de proportion agréable.
Bientôt le jeune homme se met à bouger les lèvres. Rien d'obscène, rien de feint, rien de surjoué. Simplement, en locuteur muet, en écho, il reprend ce que déclame le performeur. Ma main aussi en a adopté le rythme.
— Due punto cinque tre zero.
Je sens l'émotion croissante du jeune homme, je sens la mienne. Dans la salle, avec Alberto Grozio, nous sommes trois au moins à apprécier la cadence.
À l'improviste le jeune homme se penche vers moi :
— Et vous ?
Il pointe rapidement son index vers mon entrejambe. C'est volontiers qu'il me rend la pareille.
J'accepte avec plaisir :
— C'est gentil !
Je lui explique que depuis un moment je m'occupe aussi de notre voisine de droite. Et j'ajoute :
— Votre main gauche est encore libre. Faites passer.
Au bout d'une heure Grozio arrive à "sette punto zero", il s'arrête, la musique commence. Crescendo. Elle explose, assourdissante.
D'autres explosions l'ont précédée.
***
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