Le Temps, Eléonore Sulzer, samedi culturel du 21 juin 2009 

 


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Un cortège de saltimbanques éclairés

Par Par Eléonore Sulser

Difficile de ne pas penser un peu au Capitaine Fracasse, en suivant, dans ce chariot qui va de ville en ville et de foire en foire à travers l’Europe, les aventures d’Hardouin et de Tiécelin, transbahutés au pas de la mule Riquette.

Le récit de La Cire perdue, dernier roman du Lausannois Olivier Sillig, se déroule à la fin du XVe siècle, quelque 150 ans avant celui de Théophile Gautier. Mais on retrouve néanmoins dans ce roman, épais mais mené avec efficacité, un souffle épique à la fois tragique et léger qui se développe au petit bonheur des rencontres: brigands, compagnons de foires et de tréteaux, bonimenteurs et diseurs d’aventure, amoureux violents ou doux, travestis ou masqués. A l’image de «La Chose» qu’ils transportent et montrent aux badauds non sans l’entourer d’une mise en scène mystérieuse, les rencontres des deux compagnons de fortune et d’infortunes sont ambiguës: un même être peut s’avérer porteur de bonheur et dévastateur.

Au début du roman, Hardouin, le vieux, sauve Tiécelin, l’enfant, d’une mort certaine dans la nuit d’hiver. L’enfant, orphelin, se rebelle d’abord puis se laisse apprivoiser par cet homme devenu montreur de «monstre» un peu par hasard, histoire de gagner de quoi manger et de parcourir le monde, tout en continuant d’en sonder les mystères. Belle figure que ce Hardouin, amoureux des hommes, frère de ces Séfarades qu’il croisera, fuyant sur les routes d’Espagne, ami des savants et des peintres. Le voilà soudain devenu père, chargé d’un petit Tiécelin, qu’il emmène avec lui pour lui enseigner à la fois la cruauté et la beauté du monde. C’est aussi l’histoire d’une compagnie qui crée peu à peu: Face-de-lune, un jeune garçon attardé, grimpe sur le chariot. Ava, une jeune rousse sans yeux, l’y rejoint. Les amours des uns et des autres ajoutent d’autres attelages à la troupe qui forme peu à peu un cortège de saltimbanques.

Dialogues directs

Les dialogues entre personnages sont directs, très simples, pas de grandes descriptions mais un réel art du conte. On sent bien, à la lire, que malgré la présence de la grande Histoire qui secoue parfois le chariot de Hardouin et Tiécelin, cette Cire perdue n’est pas tout à fait de son époque. Elle a plusieurs siècles d’avance, comme si Hardouin savait déjà ce que de futurs psychologues découvriront beaucoup plus tard sur les enfants. Le respect de toute différence au sein du petit groupe répond lui aussi à des exigences très contemporaines.

Tolérance et amitié

Roman épique, roman d’apprentissage, conte humaniste, La Cire perdue d’Olivier Sillig se nourrit de tout cela. L’auteur jette un regard somme toute joyeux sur le monde. Il jette l’un après l’autre les problèmes par-dessus bord. Il n’élude pas le malheur, mais ne s’y attarde guère, lui préférant les bienfaits de la tolérance et de l’amitié. Après tout, comme le dit Tiécelin à qui une voyante fait le récit tragique de la vie de l’hermaphrodite: «Ton histoire ce n’est qu’une histoire.» Cette histoire n’est qu’une histoire parmi d’autres, certes, mais bien enlevée et qui possède un certain charme. 

 


Olivier Sillig / olivier.sillig@perso.ch / (21) 320 33 22



 
 













V: 25.06.2009 (25.06.2009)