V:12.01.99

Olivier Sillig / CinÉthique:

Les Échappés

Projet de long métrage

  1. Synopsis
  2. Traitement complet
    Genre:    western burlesque
    Thème:   amitié, rencontre


Adresse  CinÉthique 
E-Mail  olivier.sillig@users.ch 


Synopsis

Soleil de plomb, lumière blanche et poussiéreuse, village endormi. Un Noir, à n'en pas dou-ter un esclave échappé d'une plantation, est poursuivi, traqué, par un monstrueux bandit mexicain, bardé de cartouchières, monté sur un énorme bourrin et qui s'amuse à faire dan-ser l'esclave sous des coups de feu intempestifs. Jusqu'à ce que celui-ci s'effondre au milieu de la place déserte. Le chasseur de prime met pied à terre, pose une botte triomphante sur l'homme terrassé, retire son sombrero et salue. Le Noir aussi se relève et salue.
Les munitions étaient à blanc. Ces deux étranges saltimbanques tendent leur chapeau et interpellent  un  public retenu derrière ses persiennes par la crainte et la sieste. Ils invitent les habitants du hameau à venir écouter leur étrange histoire.  Petit à petit, tout le village se retrouve autour d'eux, sous la tonnelle de l'auberge communale. Y flotte un drapeau à croix fédérale. Nous sommes en Suisse, quelque part dans le Jura en l'été 1913.

Le mexicain est en fait un docker argentin, Hugo Montero, abandonné par sa fiancée au départ d'un paquebot pour l'Europe. Le Noir c'est Ignace Napoléon, un orphelin Sénégalais élevé par les jésuites. Féru de grec ancien, il ne se sépare pas d'un recueil de l'Iliade en langue originale. Il est en Europe à cause d'un serment idiot, retrouver une femme inconnue dont il possède un portait dans une montre à gousset.
Bidone, le cruel directeur d'un petit cirque ambulant,  les repère et les engage. Avec eux, il compte monter un numéro de tir et de cible vivante, une attraction sensationnelle qui sauve-ra son cirque de la faillite. Mais ils doivent faire avec les moyens du bord.
Hugo devient « Roberto Bandidos », bandit mexicain, compagnon d'arme de Pancho Villa. Sans grand souci de chronologie, Ignace est maintenant « Uncle Tom », un esclave améri-cain enfui des plantations de Caroline du Sud. Pour faire plus vrai, chaque soir, il entre en scène  les pieds enchaînés à de gros boulets en bois peint. Hugo l'attache à un panneau aux couleurs criardes, recule à l'extrémité de la piste et dégaine deux énormes revolvers. Il les charge tranquillement en suçant un bâton de dynamite préalablement allumé. Puis il se fait bander les yeux par un des quelques spectateurs. Roulement de tambour. Silence. Feu! Sous les regards médusés du public, les tirs se suivent et dessinent le pourtour d'un parte-naire qui roule des yeux savamment terrifiés. Alors seulement Hugo, d'un coup du talon de ses bottes de cuir, écrase la mèche du bâton de dynamite et salue l'assistance. En fait, les armes sont chargées à blanc. Avec une poire remplie de sciure et de poussière de charbon, un garçon de piste dissimulé derrière le panneau perfore chaque soir des trous rebouchés quotidiennement. Ceci au rythme des détonations. Le numéro rencontre un joli succès.
Excepté avec sa fille Éva, une adolescente paralysée, obèse et belle qu'il gave de sucre d'orge, Bidonne est odieux avec tous. Il ne paye personne.
Lors d'une nuit mouvementée, imprévisible et un peu arrosée, Hugo et Ignace, toujours en costume, s'enfuient avec la recette de la soirée.

Les voilà condamnés à faire route ensemble, malgré des rapports qui sont toujours tendus et des tempéraments opposés. L'habit révèle en Hugo un matamore. Ignace demeure pru-dent, taciturne et rusé.
Malencontreusement, ils perdent toute leur fortune au jeu. Pour gagner quelques sous, ils improvisent leur  numéro de chasseur de prime. On les retrouve en plein récit de leur aven-ture. Ensuite, les villageois leur font une fête qui se prolonge dans la nuit.
Suzanne, une jeune fille du village voisin, très enceinte, est montée voir ces saltimbanques. Pendant la fête, l'accouchement se déclenche et c'est aidé par Ignace qu'elle met au monde une adorable petite fille.
Au bout de quelques jours, on découvre que l'enfant est noire, souvenir d'un passage du cirque un an plus tôt et d'un garçon de piste Pakistanais disparu depuis.

Le père de Suzanne entre dans une colère folle. Suivi des cadets du village voisin, un groupe d'adolescents qui jouent aux soldats sous ses ordres, il se lance à la poursuite des deux saltimbanques. Au même moment, de l'autre coté, arrive Bidone et sa bande, aussi à leur poursuite.
Toujours armés que de leurs seules balles à blanc et de leur faux bâtons de dynamite, Hugo et Ignace se retrouvent traqués dans une ruine au sommet d'une crête. Le père de Suzanne donne l'assaut. Hugo est blessé au bras, Bidone attrape une balle perdue qui le laisse para-lysé. Suzanne monte négocier. Dans le vieux journal qu'il utilise pour bourrer ses belles à blanc, Ignace découvre  que la femme qu'il cherchait n'est qu'une reproduction de la Jo-conde. On s'est moqué de lui. Mais il comprend aussi que Suzanne est la femme que lui cherche. Encouragé par Hugo, il ne songe plus à mourir. Ils acceptent de se rendre.

Hugo est en prison. Il a tout pris sur lui.  Ignace renoue avec ses racines en devenant paysan dans ce village du jura.
Accompagné de Suzanne et du bébé, il monte chaque semaine à la prison pour  honorer ses engagements: apprendre à lire à Hugo. À lire l'Iliade dans le texte.
Hugo sera bientôt libre. Il est réconcilié avec Bidone qui lui a promis de l'associer à la direc-tion du cirque. Pour Hugo, la varie vie sera désormais dans le jeu, la comédie et le cirque.

***

    Les Échappés: Traitement complet

        État au 20 décembre 97
    1. Sur une piste de l'Ouest, aux heures les plus chaudes [V1: 1~]

    2. Où le paysage révèle un esclave fugitif traqué par un cruel chasseur de prime.

      Nous sommes en été 1913. Lumière blanche, herbe poussiéreuse rare et jaunie, rocaille. Des coups de feu, des cris, des protestations terrifiées. Puis du silence. Un chemin caillouteux qui grimpe une mauvaise pente. Un esclave noir. À l'évidence, il a fui sa plantation mais il a été rattrapé. Autour du cou, il a une chaîne avec un boulet qu'il serre douloureusement dans ses bras. Il a dû s'évader un dimanche, après le culte obligatoire car il porte ses habits du dimanche, une salopette a rayures fantaisies, un gilet en velours vert, un chapeau melon noir. Le tout s'est dissout dans la poussière et une trop longue course.

      Il a été rattrapé par un chasseur de prime, qui maintenant est là, derrière lui, monté sur un énorme bourrin fatigué. Un bandit ou un révolutionnaire mexicain reconverti. Un colosse cruel. Grand sombrero, doubles ceintures de cartouches en bandoulière, plus une troisième sertie de bâtons de dynamite. Dans ses poings énormes deux revolvers qu'il est en train de recharger. L'esclave essaie d'en profiter pour s'éloigner, les forces lui manquent.

      Le Mexicain le fait danser sous les balles et sous les insultes proférées en espagnol. L'esclave sautille pour éviter les projectiles, tombe, se relève, court quelques pas, se couche, meurt de soif, repart, sans cesse poussé en avant par la brute sans âme. La progression est lente, il faudra du temps pour livrer cette maudite proie.

      Le chemin traverse un village impeccable de propreté, les fumiers y sont tirés au cordeau. C'est complètement désert. L'heure de la sieste? la peur? Toutes les persiennes sont tirées. Le Mexicain lâche à nouveau quelques coups de feu, l'esclave hurle un peu plus. Les chiens continuent à dormir, le village semble mort, peut-être une ombre derrière un volet.

      Au centre de la place, l'esclave tombe, c'est la fin. L'effroyable Mexicain saute à terre, pousse du pied le corps sans vie, ricane et l'écrase d'une botte vengeresse et triomphante. Le chasseur de prime rengaine ses armes. Il retire son sombrero et salue. Au mépris du danger, deux femmes courageuses s'approchent de la victime. Mais celle-ci reprend vie, se relève même, ramasse son chapeau melon et vient se mettre à côté de son tortionnaire. Ni l'un ni l'autre ne prêtent attention aux deux femmes, mais tendent leur chapeau en avant en direction des maisons. Ils saluent les façades vides. Ils saluent et présentent leur numéro. Les gens du village ont eu la chance, le privilège et l'honneur, d'assister à l'instant au spectacle, documenté mais terrible et douloureux, d'un malheureux esclave lâchement abattu par un chasseur de prime très vil. D'avance, ils remercient le public de sa générosité. Avec une anxiété insistante, ils guettent les balcons et les portes. Une fenêtre s'ouvre un instant et l'esclave peut ramasser sa première pièce de monnaie. Elle est à l'effigie d'Helvetia et frappée d'une croix fédérale, ce qui visiblement le réconforte. Sous leurs regards, petit à petit, plein de détails révèlent clairement qu'on est dans un village du Jura, du versant suisse du Jura. Un drapeau accroché à une barrière, un cadran solaire avec les armoiries neuchâteloises, un soldat de l'armée nationale en congé, un des premiers à oser se monter à un balcon, puis une femme avec une coiffe typiquement du coanton.

      Peu à peu les gens comprennent et rient de leur peur. Leur curiosité naturelle prend le dessus. Encouragé par cela, l'horrible mexicain ose annoncer qu'il a une soif terrible. Il invite les gens à les rejoindre. Les gens approchent. Un flacon de vin fait son apparition, quelques tables font office de terrasse d'auberge. Le mexicain se laisse approcher, admirer, toucher par des gamins plus courageux. Et voilà qu'il annonce qu'il va leur raconter leur vraie histoire. La sienne et celle de son ami. Tout le village est là, le Mexicain se laisse tomber sur une chaise, les habitants l'entourent, les enfants viennent se mettre au premier rang. Quelques petits malins apportent des chaises aux vieux, dont ils négocient savamment l'usage.

      Le bandit commence son récit. Mais son français est lamentable, et confus, le début de son récit embrouillé à souhait. Les villageois ahuris n'y comprennent rien. Alors l'esclave s'avance, interrompt son comparse en lui posant une main amicale sur le bras, se présente, dit que son vrai nom c'est Ignace Napoléon, qu'il n'est pas Américain mais Africain, Sénégalais, que le Mexicain est en fait Argentin, de son vrai nom, Hugo Montero. Mais pour comprendre comment ils en sont arrivés à faire les clowns à ¾ quelqu'un indique le nom du village ¾ Aigue-Dessus, il vaut la peine d'entendre leur histoire en la commençant par son commencement. Et d'évoquer une petite ville de la région que tous le monde semble connaître...

    3. Une petite gare, train de marchandise, matin [V1: -]

    4. Où l'on fait connaissance avec Bidone et Pierrot, où l'on découvre qu'au départ Hugo Montero n'a rien du bandit mexicain.

      Sur un chemin qui longe une gare de déchargement, PIERROT, un gamin de 13 ans, malingre, boutonneux, morveux mais touchant, attrape par la manche MARCEL BIDONE, un homme grand et imposant au visage peu inspirant, pâles avec un long nez rouge veiné de bleu, des yeux globuleux jaunes marbrés de sang, des cheveux longs mais rares et d'un blanc jaunâtre. Il porte une veste de vieux velours marron et une lavallière bleu roi. Toujours énervé et hargneux, il envoie une main au travers de la figure de Pierrot qui pleurniche et proteste: parmi les manoeuvres qui déchargent du ciment, il en montre un, démoralisé devant un sac crevé par terre, qui jure en espagnol. Cela pourrait bien être le genre de mexicain que recherche Bidone. Bidone fait la grimace mais s'avance tout de même vers le malheureux portefaix.

      L'homme, HUGO MONTERO, n'a pour l'instant rien d'un cruel chasseur de prime capturant les esclaves fugitifs. Malgré sa force, il est très effacé tant est grande la crainte que tout semble lui inspirer: l'intérêt que manifeste Bidone, l'approche du contremaître, le sac percé. Il est misérable dans ses habits miteux; sans la poussière, il aurait presque l'air d'un clerc de notaire. Que Bidone réussisse à éloigner le contremaître ne le rassure en rien. Bidone interroge, il répond, sa casquette dans la main. Bidone hésite puis sort un portefeuille, en tire un billet, permute avec une plus petite coupure, la déchire en deux et tend une des moitiés à Hugo stupéfait. Ensuite, Bidone griffonne quelque chose sur un bout de papier qu'Hugo empoche sans faire semblant de lire.

    5. Marché, autre matin [V1: -]

    6. Où Bidone recrute Ignace Napoléon, qui ici n'est pas un esclave fugitif mais un touriste sénégalais en Europe.

      Quelques jours plus tard, un marché sur la place d'une petite bourgade jurassienne. Emerge au-dessus de la foule, un grand Noir distingué, IGNACE NAPOLEON. Il tient sous son bras un livre, vieux mais en plein cuir. Même si ses habits sont pauvres et usés, il est habillé avec soin. Pour l'instant, il n'a rien d'un esclave échappé d'une plantation de Caroline du Sud, ni aucune ressemblance avec une quelconque annonce pour du riz américain. Les gens le regardent avec un étonnement gêné, s'éloignent à son passage, puis se retournent pour le dévisager. Lui n'observe que les femmes, particulièrement celles qui ont dépassé la quarantaine. Quelquefois, il fait une rapide comparaison entre leur visage et une image encastrée dans le couvercle de sa montre en argent.

      Bidone, qui lui aussi dépasse la foule d'une bonne tête, remarque ce Noir insolite. À Pierrot, déjà chargé comme un mulet, il abandonne l'infirme qu'il poussait dans une chaise roulante, EVA, une jeune fille obèse, mais au teint lumineux, de longs cheveux blonds et un regard douloureux mais profond qui lui confère une stupéfiante beauté.

      Bidone s'approche d'Ignace, l'accoste, lui parle et l'invite à boire un verre. Bidone commande une absinthe, Ignace un thé.

    7. Arrivée au Cirque, même jour [V1: 6-]

    8. Où l'on découvre le Cirque Bidone.

      Plus tard, sur la place du marché au bétail extérieur à la bourgade, un petit cirque. Tente rouge et bleue, quelques roulottes en bois maintes fois repeintes. Une grande enseigne décorée de fauves exotiques annonce: Cirque Bidone.

      Devant l'ouverture de la tente, un créancier et un huissier ¾ il brandit un papier timbré menaçant ¾ attendent Bidone. Obligé d'aller avec eux, Bidone envoie Ignace derrière la tente, d'où parviennent quelques coups de feu. Pierrot s'occupe d'Éva.

      Ignace découvre un homme qui s'exerce au pistolet. Sa cible est un vieux carton réclame sur lequel est peint un clown noir, hilare et grotesque. La cible est intacte, les impacts de balles sont dispersés tout autour. Une poule morte pend misérablement. Par terre, un couple de pigeons agonisent.

      L'homme se retourne. C'est Hugo, dans ses habits en ruine, déchiré, sale et qui sent la misère. Le regard qu'il pose sur Ignace est craintif mais peu amène. Ignace contemple la cible avec un sourire ironique. Hugo recule d'un pas, par peur que l'autre ne se vexe de la comparaison qu'inconsciemment il vient d'établir entre le portait du clown ridicule et ce nouvel arrivant. Mais Ignace rit, salue et continue plus loin. Coups de feu et jurons hispaniques reprennent.

    9. Autour du Cirque, un peu plus tard [V1: -]

    10. Où Hugo et Ignace se présentent.

      Confortablement installé sur quelques bottes de pailles à côté de la cage au lion (on entend des rugissements poussifs), Ignace lit. A voix basse, il scande. La langue est étrange. C'est du grec ancien. Le livre est une édition de l'Illiade en langue originale. Les vers d'Homère remplisse Ignace d'un plaisir cérébral intense.

      Hugo ¾ découragé, il s'est octroyé une pause ¾ arrive. Quand il entend Ignace et voit le livre, il croise les doigts dans son dos, afin de se protéger du mauvais sort au cas où il s'agirait d'un grimoire.

      Ignace lui fait signe d'approcher. Sans se lever, il lui tend la main et se présente. Hugo hésite à serrer cette main noire. Il répond seulement en se présentant à son tour. Il détrompe Ignace, non, il n'est pas gaucho. Il vient de Buenos Aires, Argentine, où il était docker. Avec l'impudeur des perdants, comme pour s'excuser, il met en avant qu'il a été abandonné par une femme sur un cargo en partance pour l'Europe. Bidone l'a engagé.

      Ignace est Sénégalais. Peut-être aussi en Europe pour une histoire de femme. Engagé dès aujourd'hui par Bidone. Ils vont travailler ensemble. Hugo fait la grimace.

    11. Scène de la vie du Cirque [V1: -]

    12. De la vie d'un petit cirque en relâche.

      IRMA, la grosse caissière du cirque ramasse les poules mortes. Désolé, l'arme basse, l'oeil vide, Hugo fixe la cible toujours intacte.

      Accroché à la fenêtre de la roulotte, Pierrot amuse Éva en effeuillant un chrysanthème. Éva cesse de rire quand elle entend gémir le lion ¾ terrorisé, il couine douloureusement à chaque passage de Bidone.

      Bidone débouche, attrape Pierrot par l'oreille et lui envoie une gifle. Pierrot s'éloigne en pleurant. Éva se remet à coudre.

      Bidone entre dans la roulotte. Il dépose un paquet d'habits sur la machine à coudre. Il passe sa main dans les cheveux de la jeune handicapée et lui offre un gros sucre d'orge. Éva le prend avec mélancolie.

      Hugo, toujours dans ses habits rapiécés et misérables, tourne solitaire et sans but autour du cirque.

      Avec son livre, pipe au bec, confortablement caché entre quelques bottes de pailles, Ignace lève discrètement la tête parce que Bidone houspille Hugo et l'envoie s'entraîner encore.

      Les malheureuses victimes d'Hugo, pattes liées, s'entassent dans un panier d'osier. Assise devant sa roulotte, Irma est en train de les plumer. Ignace arrive. Il s'arrête un instant devant le guichet vide et regarde une photo de l'équipe du cirque. Ah! Ils ont déjà eu un nègre. Irma explique. Un Pakistanais, un bon à rien qui a disparut après avoir eu une histoire avec une fille. Irma invite Ignace à s'asseoir à côté d'elle. Ignace attrape une poule et commence à la plumer. Ici, c'est dur avec les femmes. Ignace dit que les nègres exercent sur elles la même fascination que les babouins, mais qu'après, elles s'enfuient toujours. Le Pakistanais a eu bien de la chance, ce n'était peut être pas un bon à rien. Irma lui passe une main sur la nuque et lui fait un gros bisou ¾ avec elle, Ignace n'est pas sur la défensive. Elle lui apprend aussi qu'Éva est la fille de Bidone. Sa mère, une femme magnifique, s'est tuée quand la petite était petite. Evidemment, c'était la trapéziste? Evidemment. Irma baisse la voix. C'est depuis que Bidone est comme il est.

      Caché derrière une des bottes de paille, ravi comme s'il s'agissait de musique, Hugo écoute Ignace scander du grec. Dès qu'Ignace se rend compte de sa présence, il s'interrompt, ferme le livre et attend qu'Hugo reparte.

      Au centre de la cible, Ignace s'est superposé au clown noir hilare. Il ordonne à Hugo de tirer. Celui-ci refuse, puis tire. Une des poules survivantes qui picotait sur le mur s'effondre. Ignace s'éloigne en riant. Hugo vise l'emplacement où se trouvait la poule. Pour la première fois, son tir atteint la cible. Hugo est effaré, Ignace aussi.

      IGOR, le gigantesque garçon de piste Russe, fait inconsciemment un petit détour en croisant Bidone qui est rejoint par Ignace. Avec Ignace, Bidone manifeste plus de méfiance que son habituelle violence; peut-être parce qu'avec lui comme avec les autres, Ignace est généralement distant et hautain. Ignace s'inquiète de savoir si Bidone compte attendre qu'Hugo sache tirer ou s'il veut le sacrifier lui ¾ il se désigne lui-même ¾ à la première représentation.

    13. Le cirque, la place, les rues, nuit [V1: -]

    14. Comment un Sénégalais rattrape un docker désespéré..

      Nuit. Hugo passe, toujours solitaire et sans but autour du cirque. A son approche, Ignace hausse les épaules et s'en l'attendre se glisse dans la tente d'où parvient un peu de lumière et de bruit, on installe un éclairage pour le nouveau spectacle.

      En ressortant du cirque, Ignace découvre Hugo qui part au loin avec son balluchon. Il le suit. Il le rejoint dans une petite rue déserte.

      Peu après, dans la même rue, mais sur le chemin du retour, Ignace et Hugo sont ensemble. Ignace raconte à un Hugo suspendu à ses lèvres comment les Grecs ont mis le bébé d'Ulysse devant sa charrue pour lui prouver qu'il n'était pas fou.

    15. Dans la roulotte des costumes, matin [V1: 4-]

    16. Où un misérable docker argentin devient un terrible bandit mexicain.

      Matin. Bidone est en partance pour la ville. En présence d'Hugo et d'autres témoins, Ignace lui crie de ramener des caleçons pour Hugo. En Europe, on porte des sous-vêtements! Et qu'il n'oublie pas de rapporter aussi le journal!

      Pitoyable et gêné, Hugo pénètre dans la roulotte des costumes.

      Bidone entre dans la roulotte et dépose un paquet de vêtements. Des yeux il cherche Hugo. Celui-ci, complètement nu, se cache autant que faire se peut derrière un des amoncellements d'habits qui tapissent le fond de la roulotte. Il ne bougera pas tant qu'Éva est là.

      D'une chiquenaude, Bidone ordonne à Pierrot d'aider Éva à sortir. Ignace en profite pour entrer et s'installer confortablement comme spectateur. Il regarde amusé, en fumant sa vieille pipe recourbée.

      Bidone punaise au mur une sorte d'image d'Epinal, le portrait d'un révolutionnaire mexicain. Voilà à qui doit ressembler Hugo. Une étincelle d'intérêt s'éveille dans l'oeil de celui-ci empêtré dans la façon d'enfiler un caleçon.

      Hugo remarque qu'Ignace a posé le journal qu'il faisait plus ou moins mine de lire et qu'il joue négligemment avec un des revolvers dont il a ouvert le barillet.

      Bidone lance à Hugo un pantalon ¾ en cuir avec des franges, puisque le portrait ne permet pas de savoir exactement ce que portent les chicanos au bas du corps. Hugo se met à chercher son reflet dans le regard des autres. Celui de Pierrot est le plus flatteur. Y naît chez Hugo une prestance toute nouvelle.

      Pierrot sort de la roulotte et appuie contre la tente un long miroir. S'y reflète la sortie d'Ignace et Bidone. Le personnel du cirque s'approche. Enfin, voilà Hugo! réplique la plus exacte possible du fameux Zapata! Étonné, il se regarde marcher, écoute les éperons griffer le sol. Se tourne vers le miroir, en change sa marche, le maintient de ses épaules, la plénitude de ses poumons. Ignace rit et lance une moquerie. Hugo se retourne vers lui et esquisse le geste fugace d'un surprenant soufflet. Ignace reconnaît qu'avec certains, l'habit fait vite le moine.

      Hugo ordonne à Pierrot d'avancer les armes. Pierrot les lui tend comme il l'aurait fait à un chevalier. Ignace fait mine de se protéger avec les bras. Mais Hugo met noblement les pistolets dans leur fourreau à sa ceinture. Prenant l'image d'Epinal pour exemple, il explique à Éva qu'il manque aux deux grosses ceintures ventrales, les ganses pour les cartouches.

      D'un geste, il invite tout le cirque à le suivre. Il les emmène sur le stand. Il dégaine, cérémonieusement mais prestement et vise. Avec le costume, on dirait qu'il a aussi acquis l'art de tirer. Mais meurt une poule de plus.

      Petit détail, deux fois le chien du pistolet à battu dans le vide. A l'abri des regards Hugo contrôle ses pistolets. Il manque deux balles.

      Assis sur les marches de la roulotte, Ignace les attend. C'est un fringuant esclave en habit du dimanche, avec une salopette rayée bleue et blanche, un gilet en velours vert et un chapeau melon noir. Il fait semblant de se mirer mais son miroir est une image publicitaire pour les riz américains. Il s'amuse et fait mine d'avoir très peur d'Hugo.

    17. Autour du Cirque, jour [V1: -]

    18. Où l'on sent la gestation d'un sacré numéro.

      Un autre jour. Ignace gît en costume, les bras au corps, sur une planche posée par terre. AUGUSTE, l'auguste, un mètre de couturier sur le bras, suit avec un crayon le pourtour d'Ignace, pour en relever l'exacte silhouette.

      Pierrot ¾ il s'essuie le nez et les yeux, on entend gémir le lion, Bidone est passé ¾ arrive avec deux pots de peinture et des pinceaux.

      Devant la roulotte, Éva essaie sur Hugo les ceintures ventrales ornées maintenant des magnifiques ganses colorées qu'Hugo garnit des cartouches au laiton rutilant.

      Auguste et Pierrot peignent une nouvelle enseigne monumentale, avec les portraits, terrifiant ou terrifié, de Rodrigo Bandido et Uncle Tom.

      Bidone engage quelques gamins pour distribuer des affichettes en ville.

    19. Sous le chapiteau, matin ensoleillé [V: 7~]

    20. Répétition(s).

      Sous la tente, au sommet d'un des mas, suspendu à une échelle de corde, Pierrot, heureux parce que libre là-haut, pose une lampe. A cause du soleil matinal, la lumière est vive et bleue. On entend des gammes. C'est l'orchestre qui s'échauffe, quelques musiciens déjà croisés autour du cirque, maintenant identifiable grâce à leurs instruments. Ils sont fluets, dépenaillés sans habits de scène.

      Les gradins sont vides. Au centre, il y a les places d'honneurs, quelques chaises recouvertes de vieux velours. Trois loges sont simplement délimitées par du cordon rouge.

      En bordure d'arène, il y a Éva dans sa chaise. D'en haut, Pierrot lui fait de petits signes. Elle tient du fil, une aiguille, des ciseaux, une pelote de tailleurs pincée sur le bras.

      Dans l'arène, il y a Hugo, superbe, le costume rehaussé de couleurs vives, avec un grand sombrero chamarré. Il porte une troisième ceinture ventrale, plus large que les deux autres, les cartouches y sont remplacées par des bâtons de dynamite, toutes les mèches rangées du même côté. Il est impressionnant ¾ infiniment plus grand et imposant que le pauvre manoeuvre qu'il était. Il va et vient, fière, mais terriblement nerveux et soucieux de son apparence.

      Arrive Bidone qui hurle déjà après Pierrot. Où est donc ce sale morveux! A regret, celui-ci se laisse glisser comme un singe la long de l'échelle de corde. Il réussit à esquiver la torgnôle que lui a préparée Bidone. Il revient avec la cible qu'il va installer face aux loges, dos à l'entrée des artistes. On y reconnaît bien la silhouette d'Ignace, alias Uncle Tom.

      Et Ignace! Sacebleu! Il arrive. Pimpant. Portant dans ses bras un boulet noir, visiblement bien léger, relié à un de ses pieds nus par une chaîne. Il est moins flegmatique que d'habitude, on voit bien qu'il s'amuse.

      Bidone est allé personnellement conduire Éva dans une des loges, à nouveau il a déposé un sucre d'orge sur ses genoux. Maintenant il est en bordure de piste et donne ses ordres pour régler les déplacements. D'abord, Hugo doit enter seul et faire un tour de piste. Compris? Compris. Action! Hugo s'essaie. Il est beau, triomphant, mais, au lieu de fixer là où se trouvera le public, il recherche dans les coulisses les encouragements d'Ignace ou de Pierrot. Bidone l'engueule, il faut reprendre. La scène est répétée plusieurs fois. Enfin Hugo fait un joli tour complet, la musique est synchronisée. Roulement de tambours, Rodrigo Bandido vient face aux places d'honneur. Il est terrible, menaçant et moqueurs. La musique s'arrête net.

    21. Sous le chapiteau, le soir [V1: 11~]

    22. Où c'est la Première.

      Roulement de tambours, Rodrigo Bandido fait face aux places d'honneur. Il est terrible, menaçant et moqueurs. La musique s'arrête net, les musiciens sont en uniforme. Hugo sort un de ses revolvers. Un murmure d'effroi saisit le nombreux public, Hugo charge son arme.

      Discrètement, tout en noir, Pierrot se faufile derrière la cible.

      Hugo repart et revient aussitôt des coulisses. Blues exagérément nostalgique. Il traîne méchamment derrière lui l'esclave capturé, Uncle Tom, qui roule des yeux déjà terrorisés. Il l'oblige à saluer, lui faisant tomber son chapeau pour lui apprendre les bonnes manières ¾ l'Auguste le ramasse et en ôte la poussière avec son avant-bras.

      Hugo pousse l'esclave vers la planche. L'y attache rudement, pieds et poings à des bracelets de cuir. Esquisse un tir à bout portant, se recule à l'opposé de la piste, menace de tous côtés, tir en l'air. Ignace supplie, appelle secours, son dieu, sa mère. Hugo change d'attitude, retourne vers lui. Avec son propre foulard, une bande de tissu rouge qu'il porte autour du cou, il lui essuie le visage et murmure bien fort des propos rassurants ¾ dans un français meilleur que d'habitude puisque ce sont des répliques apprises par coeur. Mais voilà qu'il lui bande les yeux avec le foulard. De public s'élèvent des protestations émues encouragées par l'orchestre.

      Ignace pleure et supplie. Il veut revoir sa case, sa femme, ses douze enfants, tous ses petits-enfants. Même la plantation!

      Ayant repris sa position, Hugo pose un pied sur le bord de l'arène, tire un bâton de dynamite, frotte une allumette sur sa botte et allume la mèche. Mouvement de recul dans le public, amplifié quand d'autorité Hugo tend le bâton d'explosif à un des spectateurs et lui intime l'ordre de le garder: juste quelques petites minutes!

      Il se met en position. Roulements de tambours, silence, roulements de tambour, silence. Chargement, chien enclenché. Hugo vise, lance un coup d'oeil sur la mèche qui se consume sur le bâton de dynamite, pointe. Nouveau roulement de tambours. Les mains d'Ignace se crispent convulsivement. Hugo tire. Détonation. Une! Il a raté la cible? Non! Elle se perce sous l'impact, le trou est même fumant. À un pouce au-dessus de la tête d'Ignace. Silence. Hugo fait face au public. Applaudissements.

      Derrière la cible, Pierrot essaie d'être discret.

      Hugo revient vers Ignace. Maintenant que celui-ci est habitué, il n'a plus besoin de bandeau! Au passage, il lui donne une bonne claque amicale.

      L'esclave ébloui cherche une aide dans le public. Ignace fait signe à l'auguste. L'auguste hésite, approche, comprend, un peu surpris ¾ on n'avait jamais répété ça ¾ et obéit. Il tire la montre dont la chaîne dépasse du gousset du gilet. Ensuite? Il l'ouvre. Les yeux de l'esclave, les yeux d'Ignace, font un rapide va et vient entre le couvercle et une spectatrice. Il secoue la tête avec dépit, le public frémit.

      Rodrigo Bandido a remis son foulard à son cou et repris sa position. Il jette un regard à la mèche qui se consume gentiment. Il sort son deuxième revolver. Il tire. D'abord lentement, puis en rafales.

      Derrière la cible, Pierrot se démène.

      Les tirs suivent le contour du corps avec une précision extraordinaire. Sauf une balle perdue qui va se planter à un petit centimètre de la tête d'Ignace, une tête inondée d'une sueur parfaitement crédible.

      Derrière la cible, Pierrot se démène. Avec un gros poinçon, il perfore des trous déjà préparés. De temps à autre, avec une poire à lavement, il y insuffle un jet de talc qui part en fumée. Et avec une autre poire, de la sueur sur le front de l'esclave paniqué.

      Enfin, Hugo récupère la charge de dynamite et sourit. Avec un flegme parfaitement maîtrisé il écrase la mèche sous le talon de sa botte et salue. Tonnerre d'applaudissements, le public est ravi. Hugo est au quatrième ciel. Pas prêt d'en redescendre, il en oublie de libérer Ignace pour saluer ensemble.

      Tout le public est parti ¾ sauf l'huissier et les créanciers qui attendent discrètement vers la sortie. Toute l'équipe est sur la piste. Hugo trône en son centre, conquérant, important, vainqueur, écrasant. Il plane encore dans son habit de lumière. Ignace se masse les poignets, mais sourit: ça marche!

      Pierrot est tout fou. Comme un chiot, il sautille autour de chacun à quémander des félicitations, mais se fait rapidement écarter. Il rejoint Éva et lui commente l'autre face de l'exploit. Éva sourit, elle a l'air heureuse.

      Bidone dit à Ignace que le coup de la montre ce n'était pas du tout prévu. Mais que l'idée que l'esclave cherche sa mère dans la foule venue assister à son exécution, il doit le reconnaître, c'était une bonne idée. Il a un rire cynique, elle n'y était pas. Ignace comprend.

      Plus tard. On a fait la fête ¾ chichement ¾ , on va se coucher. Rodrigo Bandido coince Uncle Tom contre les coulisses. Il veut voir la montre. Ignace se frappe le front, demande si le petit docker va bien et s'esquive avec agilité. Hugo dégaine un de ses revolvers puis le remet en place et se dégonfle un peu.

    23. Sous et autour du chapiteau, divers lieux, matinées et soirées. [V1: 12,13,14]

    24. Succès, heurs et malheurs de la petite troupe.

      Il y a de plus en plus de spectateurs. Représentation en matinée, beaucoup d'enfants dans le public.

      Le cirque a déménagé, le cadre est différent, la tente est pleine à craquer. Nouvelles représentation. Le numéro. D'autres, la cage au lion qu'on démonte, l'auguste qui se ramasse une tarte à la crème, Pierrot en funambule.

      Le public est parti, Bidone s'apprête à regagner sa roulotte. Il évite Hugo. Ignace l'intercepte, ils n'ont pas l'air d'accord.

      Sur un chemin. La roulotte de Bidone en tête de la caravane. Ignace rejoint Bidone. Bidone sort un papier. Ce sont les comptes. Il y a leur loyer, le costume, la nourriture, la publicité.

      Affiches sur les murs. Maintenant elles sont colorées.

      Bien installé vers la cage au lion, une rangée de cartouche vide, de la poudre noire et de la bourre d'étoupe devant lui, Ignace prépare les balles à blanc des prochaines représentations.

      Nouvelle représentation. Dans le chapiteau bondé, Hugo tire en rafales. Soudain les impacts ne suivent pas. Derrière le panneau, Pierrot n'arrive plus a retirer son poinçon qui reste coincé dans un des trous. Le panneau est pris de mouvements insolites, Pierrot essaie de dégager son instrument. Ignace, qui a compris le problème, fait ce qu'il peut pour l'aider. Et improvise. Pour sauver la situation, il se met à insulter le terrible bandit mexicain. Très surpris, Hugo, totalement dans son jeu, va se fâcher pour de bon. Heureusement les choses rentrent dans l'ordre, les tirs reprennent.

      Le spectacle est terminé. Bidone ne rejoint pas sa roulotte parce que devant, Hugo l'attend et qu'il est toujours en Rodrigo Bandido.

      Hugo marche en retrait de la roulotte d'Irma. Il est à des habits civils, un peu plus présentable qu'avant mais on lui retrouve son air de clerc de notaire, au mieux celui du docker argentin qu'il a toujours été. Surtout maintenant qu'Ignace vient de lui refuser l'accès au banc du coche où il discute tranquillement avec Irma. Irma est curieuse de savoir pourquoi Ignace est en Europe ¾ derrière eux, Hugo essaie plus ou moins d'entendre. Ignace a été élevé dans un orphelinat tenu par des jésuites. Il hésite puis tire sa montre et l'ouvre. Il y a une guerre entre son Ethnie et le couvent ¾ ce sont tous des colons! Il a été témoin de l'agonie du père qui lui a enseigné le grec ancien, qui l'a élevé. Juste avant de mourir, ce soldat de Dieu, lui a confié une montre. Avec pour mission de la remettre à sa propriétaire. Il est mort le sourire aux lèvres, sans avoir le temps de lui donner la moindre indication. Les Jésuites ont enseigné à Ignace, le latin, le grec, la religion, mais pas l'histoire de l'art. Il est comme Irma. Ni lui ni elle ne peuvent pour l'instant savoir que le portait en noir et blanc dans le couvercle de la montre ouverte, n'est qu'un portrait de la fameuse Marianne, un détail du tableau de Delacroix, "La liberté menant le peuple". C'est une dernière facétie du curé.

      Nouvelle représentation. Hugo va enter en scène. Ignace exige de voir les pistolets ¾ c'est un rituel déjà bien établi ¾ , il contrôle les charges à blanc des munitions, Hugo, déjà dans son personnage, se moque de lui.

      Parce que Uncle Tom n'arrive pas, Rodrigo Bandido fait d'étranges va-et-vient entre l'arène de lumière et la coulisse. Pensant avoir enfin obtenu de vraie garanties de la part de Bidone, Ignace se laisse traîner sur scène.

    25. Sous le chapiteau désert, nuit de lune [V1: 15-]

    26. Des méfaits de l'alcool sur les organismes africains, et argentins.

      Le chapiteau désert n'est éclairé que par la lumière de la lune à travers les ouvertures. Au sommet de la tente, Ignace, toujours en habit de spectacle, est perché sur la minuscule plate-forme du funambule. Il termine une bouteille puis la jette dans le noir. Elle atterrit dans la sciure de l'arène d'où Hugo, lui aussi costumé, lui ordonne de redescendre. Mais Ignace, très digne, se veut être la démonstration vivante de ce qui se passe quand on fait boire un Africain. Il pose un premier pied sur le câble. Hugo, la tête et les yeux tourné vers le ciel, le supplie d'arrêter, leur pari est stupide! il ne faut pas! il va se tuer! En même temps qu'il crie, à voix étouffée pour pas qu'on les entende, Hugo, totalement concentré sur ce qui se passe en haut, avance, les bras écartés, prêt à ramasser tout ce qui pourrait tomber du ciel, fusse la masse accélérée d'un Ignace s'écrasant.

      Ignace s'est mais à chantonner une mélopée africaine. Hugo arrive enfin à l'autre extrémité de l'arène. Eclats de rire d'Ignace qui a rejoint l'autre plate-forme. Hugo rit et pleure à la fois et se jette dans les bras d'Ignace. Assez vite, Ignace le repousse. C'est son tour de fixer un gage. Il se penche à l'oreille d'Hugo. Hugo blêmit, puis rit, puis regarde Ignace. Celui-ci semble parfaitement sérieux. L'alcool aidant, Hugo se fâche. Ignace croit-il vraiment qu'Hugo est un pauvre type! un bon à rien, un docker stupide et analphabète! Eh bien! il va voir! Hugo se dirige vers la sortie. Qu'Ignace ne bouge pas! il sera de retour dans cinq minutes. Avec cette foutue caisse! Ignace rit ou ricane. Hugo ne risque pas grand chose, Bidone est encore en ville, à festoyer leur triomphe avec les gros marchands de bétail!

    27. Dans la roulotte de Bidone, même nuit de lune [V1: -]

    28. Des bienfaits de l'alcool sur certain organisme français.

      Hugo utilise tout son poids pour forcer la porte de la roulotte de Bidone mais celle-ci s'ouvre presque d'elle-même. Hugo est précipité à l'intérieur éclairé seulement par la lune. Contre toute attente, Bidone est là. De dos, assis, impressionnant, immobile. Il n'a pas réagit à l'irruption intempestive d'Hugo, pas bougé d'un cil. Dans ses deux grosses mains posées sur la table, il tient un cadre avec la photo d'une ravissante trapéziste, sa femme. Hugo, effaré et fasciné, s'approche. Bidone, totalement immobile, totalement silencieux, pleure, à flot. Hugo, saisi de compassion, s'approche encore. Bidone reste immobile, Bidone pleure. Tout à coup, sans détourner la tête, Bidone parle. Ah! Hugo est venu le voler. La surprise est telle qu'Hugo ne peut que répondre oui. Sans détourner la tête, Bidone attrape la grosse bourse en toile qui contient encore la recette de la soirée, la tend en direction d'Hugo, lui ordonne de la prendre. Et de disparaître. Hugo, lui aussi comme une sorte d'automate, prend la bourse, recule, sort, ferme la porte, s'enfuit.

    29. Autour du cirque, même nuit de lune [V1: 15]

    30. De la disparition d'Hugo, d'Ignace et de la caisse.

      Pierrot, qui dort sous l'appentis attenant à la cage du lion, brusquement secoué, ouvre des yeux étonnés. Il découvre les deux têtes d'Ignace et d'Hugo plongés sur lui. Bidone les a en quelque sorte payés, ils foutent le camp. Ils aimeraient l'emmener avec eux. Pierrot refuse, il ne peut pas abandonner Éva. Ils vont lui manquer, à elle aussi. Il leur souhaite bonne chance.

      Hugo avec la bourse, Ignace en serrant son boulet dans ses bras, disparaissent en courant silencieusement dans la nuit, loin du cirque.

    31.  Chemin de campagne, très tôt matin [V1: -]

    32. Où l'on découvre une jeune femme très enceinte et un village séparé en deux par une église.

      Tôt matin, dans la campagne. Une jeune femme, SUZANNE, marche d'un pas volontaire. Elle est très enceinte. C'est l'imminence du terme qui la pousse à ces promenades. Son chemin la ramène au village. En fait il y a deux villages, un, une sorte de hameau sur une crête (AIGUE-DESSUS), l'autre, plus important, en contrebas (AIGUE-DESSOUS). Entre les deux, mais plus près du village du bas, il y a une église visiblement à l'usage des deux communautés.

      Une femme travaille dans un champ qui surplombe le chemin. Au passage de la jeune fille, elle l'interpelle avec une souriante complicité. C'est pour tout bientôt.

      Un peu plus bas, derrière une haie, deux vieilles font des commentaires sur la promeneuse. Une vraie honte! Suzanne les remarque, se tourne légèrement vers elles, cambre exagérément le ventre, éclate de rire et reprend sa route en chantonnant.

      Elle contourne l'église et descend vers Aigue-Dessous. Elle entre dans une maison assez cossue. Elle s'affaire à la cuisine.

      RIBATEL, le père de Suzanne, un veuf long sec et austère, termine son petit déjeuner. " La feuille des Avis Officiels " est repliée devant lui, il a les deux mains posées en large sur la table, il est un peu rouge. Suzanne, tout en débarrassant la table, lui parle avec véhémence. Il n'en est pas question! Elle ne veut plus en entendre parler. De la cuisine, elle crie. Même s'il était pape! Le mot pape fait tiquer Ribatel. Il se lève et prend son chapeau. Chacun mène sa vie comme il l'entend! Elle ne l'empêche pas de jouer avec ses petits soldats de bois!

    33. Sur une route déserte, tôt matin [V1: 16~]

    34. Où un drôle de paroissien invite les deux fugitifs à grimper dans sa calèche.

      La route est dans l'ombre. Ignace va d'un bon pas. Nu-pieds, il retrouve la démarche souple et élancée qu'enfant il avait dans la steppe, ceci malgré la bourse et le boulet folklorique et inutile. Loin derrière, Hugo traîne la patte, râle, jure et insulte ce faux frère qui ne l'attend pas.

      D'abord entendu, puis distinguée dans l'ombre, loin derrière, une calèche s'approche en trottinant.

      Ignace, inquiet, retourne vers Hugo et le force à se coucher dans un fourré.

      Après avoir ralenti, l'attelage s'arrête, exactement à leur hauteur. Son conducteur, LUDION, un vrai maquignon avec une tête de fouine, bat un briquet et s'allume un cigare. Enfin il parle, en direction du fourré. A Rodrigo Bandito, dont il a apprécié le superbe numéro d'hier. Il l'invite à le rejoindre dans son fiacre confortable.

      Moment d'hésitation, puis Hugo émerge, suivi d'Ignace. Ludion ne parle qu'à Hugo, tout en s'intéressant à la dérobée à Ignace qu'il contraint à s'installer derrière, avec des licous et des éléments de sellerie qu'il ramène de la ville.

    35.  Dans la roulotte de Bidone et autour du cirque, très tôt matin [V1: -]

    36. Où Bidone se réveille avec une très grosse colère mâtinée d'une bonne dose de déception.

      Le soleil levant pénètre la roulotte de Bidone. Bidone est toujours assis, il tient encore le petit cadre photographique. Son corps bouge au rythme de sa respiration. Soudain sa tête part en arrière et le réveille avec un sursaut éperdu. Évitant la photo, il regarde autour de lui. Et bondit sur ses pieds, se rue hors de la roulotte, hurle à l'assassin.

      Les autres émergent un à un, mal réveillés, peu vêtus, vaguement curieux. Ils s'approchent. Sauf Pierrot, peu pressé d'apprendre ce qu'il sait ou qu'il devine déjà.

      Bidone entre chez Éva. Il lui annonce qu'Ignace et Rodrigo ont disparu. Ils veulent sa mort! la mort du cirque! Il soupire. Ensemble ils auraient pu faire des grandes choses! Au lieu de cela, ils ont emporté la caisse!

      Bidone rameute toute l'équipe autour de lui, certains se sont vaguement habillés, Igor s'est armé d'un marteau de montage, un des musiciens d'une fourche. Bidone jure qu'on les retrouvera!

    37. Un bouge perdu, au petit matin [V1: 17~]

    38. Où une caisse passe aisément d'une main à une autre, où Hugo se retrouve à cheval.

      Arrière-salle déserte et crasseuse d'une gargote de campagne. A la seule table occupée, Ludion distribue les cartes. Quelques pièces d'argent sont déjà devant lui. Hugo peine à différencier les couleurs et les figures et de les mettre dans un ordre possible. Il cherche l'aide d'Ignace qui est resté debout derrière lui. À côté de Ludion, il y a un garçon d'écurie à l'allure guère engageante. Avec un mépris provoquant, Ludion invite Ignace a aller les attendre dehors. On n'aime pas trop voir des gens... comme lui, dans cet endroit! Ignace réagit conformément aux attentes de Ludion. Il oblige Hugo, qui ne demande pas mieux, à lui céder la place. Le garçon d'écurie invite Hugo à aller dehors avec lui.

      Les jésuites n'ont pas appris à Ignace à tricher, du moins aux cartes. Rapidement, l'argent s'entasse devant Ludion.

      Dans la cour, Hugo est juché sur une énorme jument jaunâtre et fatiguée. Le valet rusé lui donne des conseils, l'encourage et le flatte.

      Toute la recette de Bidone à changé de main. Droit comme un i, mais titubant, Ignace, qui n'a pourtant bu que du thé, se lève et se dirige vers la sortie.

      Dehors, Hugo l'attend, triomphant sur la vieille jument, surtout quand elle reste immobile. Voilà! il l'a achetée! pas cher! il faut ¾ gros nuage d'inquiétude sur le visage de Hugo, qu'Ignace paye. Pâle mais impassible, Ignace retourne la bourse vers le bas, elle est vide. Ludion fait le généreux, c'est lui qui paiera.

      Dans la lumière du matin, sur une route toujours déserte, va un glorieux cavalier à cheval. Derrière, pied nu, un nègre. Encore plus derrière, une auberge qui disparaît peu à peu, avec deux compères qui se frottent les mains.

    39. Par monts et vaux, jour [V1: 18=]

    40. Des péripéties de la route et de la naissance d'une riche idée.

      Ils vont par monts et vaux sur les chemins déserts. Hugo, fier et content de sa monture, veut lui donner un nom. Désaccord littéraire sur Don Quichotte. Ignace à beau répéter à Hugo que sa jument s'appelle Rossinante, Hugo s'entête, ce sera Dulcinea.

      Un peu plus loin, toujours entre monts tendres et vaux mous. Ignace accompagne sa marche d'un chant au rythme profond. Devant, à l'ombre de son grand sombrero Hugo se laisse conduire par la jument et somnole.

      Ignace fatigue. L'écart entre le cavalier et le fantassin grandit, grandit. Un instant, Hugo émerge de sa sieste. Un instant, il se croit abandonné. Mais derrière lui, tout là-bas à l'horizon, se détache la silhouette de son compagnon. Hugo imprime un demi-tour à sa docile monture et se rendort aussitôt. La bête arrive à la hauteur d'Ignace. D'elle-même, elle se met derrière Ignace et le pousse de son naseau, dans le dos, gentiment, fermement. Plus loin Hugo ouvre un oeil, sourit, rit, mais en silence.

      A la sortie d'un bois, le bruit des sabots qui frappent la terre battue est peu à peu couvert par le martèlement d'hommes au pas. Hugo jette un regard en arrière. Aussitôt il affermit son assise et pousse fièrement Dulcinea à petits coups de reins, avec un poing à la verticale, comme s'il tenait un sabre de parade, comme s'il était général, le général d'une armée de soldats qui marchent au pas cadencé, dans des beaux uniformes bleus avec la croix fédérale sur le képi. Mais la section dépasse son commandant de cavalerie et continue, rythmée comme des automates, des automates aveugles et sans surprises.

      Hugo a fini par prendre le boulet à bord. Mais Ignace en a assez de marcher. Il est fatigué, il ne fera plus un pas. Hugo lui rappelle lourdement qu'avec tout l'argent, ils auraient pu acheter un détachement de cavalerie entier. Il accepte de le prendre en croupe. Mais Dulcinea ne veut plus avancer. À juste titre selon Hugo, elle n'aime pas les negro! Il fait redescendre Ignace, mais la jument refuse toujours de bouger. Pestant et jurant, Hugo remet pied à terre. Il abandonne cette " uja da puta " à Ignace. Qu'ils aillent au diable ensemble! Ignace monte en selle, flatte Dulcinea à l'encolure. Dulcinea se met en marche. Hugo jure, marche, et peine, Ignace s'amuse.

      Le soir approche. Hugo et Ignace vont à pied, au rythme de Dulcinea qui broute. La voir manger leur donne une faim terrible. Puisant dans un bagage culturel insoupçonné, Hugo commence une énumération de festins somptueux. Chaque fois il demande à Ignace d'en estimer le prix, et de déduire le montant de ce que devait contenir la caisse. Ignace menace: les Africains mangent de tout, il est bien capable de bouffer le cheval! Maintenant ils se font la gueule.

      Ils arrivent en vue d'une ferme isolée. Une jeune femme est en train de nourrir la basse-cour. Ignace ordonne à Hugo de se planquer et de l'attendre. Il s'approche. La jeune fille est charmante, plus étonnée qu'effrayée. C'est fort probablement la première fois qu'elle voit un Africian. Malicieux, Ignace s'excuse d'être tout noir. C'est à cause de la route. Et s'il est si long et si maigre, c'est à cause de la faim. La jeune fille rit. Elle a un beau sourire. Ignace la complimente pour ses poules, ses lapins et ses jolis pigeons. Il lui demande si c'est elle qui les prépare si joliment. Elle rit, c'est sa mère.

      Hugo qui suit tout ça sans entendre croit qu'Ignace n'arrive à rien. Pris d'une impulsion subite et insensée, il sort ses revolvers et se pointe face à la jeune fille. Il lui ordonne de reculer. Il pénètre dans le poulailler, saisit une vieille poule, ressort. Ignace est obligé de s'enfuir avec son stupide associé.

      Pour une fois que l'approche d'une jeune fille blanche s'annonçait sous un jour favorable, avec au moins un bon repas à la clé, Ignace est vraiment en colère pour de bon. Une colère qui lui fait retrouver sa langue maternelle. Il insulte Hugo en wolof et y trouve un plaisir incroyable. L'effet sur Hugo est fulgurant. De n'y rien comprendre le vexe encore plus. Longtemps il reste sans voix et paralysé, puis quelque chose monte qui réveille aussi un espagnol maternel très riche. Ignace s'amuse follement. Au comble de la fureur, Hugo lui balance la poule morte dessus. Ignace hausse les épaules et reprend la route en dansant. Hugo est obligé de mettre pied à terre pour récupérer sa proie. En selle, sa rage reprend. Il invoque des saints guerriers plus vaudous et brésiliens qu'argentins et chrétiens. Tout à coup, il se calme, sort une nouvelle fois ses deux énormes pistolets, les charge, les arme et tire. Ignace est certes étonné. Bien moins qu'une vieille qui passe avec ses chèvres.

      Tout à coup Ignace devient spectateur de sa propre scène. Son regard va d'Hugo à la vieille, d'Hugo à ses propres pieds, aux revolvers, à la vieille stupéfaite, à Hugo stupéfait, à la vieille, à Hugo. Et Ignace rit, content. Il attrape Dulcinea par la bride, félicite Hugo pour l'excellante idée. Celui-ci est très étonné, sa colère tombe.

    41. Un bois de sapin, une carrière au couché du soleil [V1: 19=]

    42. Où l'on prépare un nouveau numéro.

      Un bois de sapins percé d'une carrière d'où montent des coups de feu, les rires d'Ignace et d'Hugo, quelques pas de danses accompagnés d'une musique tapée dans les mains.

      Hugo range ses armes, descend de cheval, se jette dans les bras d'Ignace. Ils rient, se félicitent, se tapent dans le dos, se tapent les mains.

      Un joli fumet s'élève, un jus parfumé coule, la peau de la poule rôtit et croustille sous un feu à la juste température, sous la vigilance gourmande d'Hugo maître queue. Ignace danse encore pour lui-même.

      Il fait nuit dans la carrière. Des braises mourantes, des plumes, les restes d'une broche improvisée et deux hommes qui parlent de fantômes. Hugo raconte ceux du village de sa grand-mère. Particulièrement une truie qui venait hanter les nuits du boucher. La nuit d'ici les terrasse.

    43.  A la sortie du culte, Église d'Aigue, un beau dimanche matin [V1: -]

    44. Où, sous la direction de Ribatel, on assiste à la revue des cadets, fierté des citoyens d'Aigue-Dessous.

      Le temps est superbe. Les cloches sonnent. La porte de l'église s'ouvre. Suzanne bondit dehors et part faire les cent pas, la délivrance lui urge. Le pasteur se tient au centre du proche, ses ouailles sortent en deux files tout à fait distinctes. Celle de gauche s'égaie joyeusement vers Aigue-Dessus. Ceci à l'exception de GASPARD, une sorte de valet de ferme, chauve, au visage complètement lisse, qui passe son temps à rire et à essayer de frapper des mains, curieux de voir ce qui se prépare plus bas.

      La file de droite s'est arrêtée juste sous l'église (excepté les femmes qui rentrent préparer les repas). Il y a revue. Ribatel en un bel uniforme d'apparat et suivi de huit garçons entre 12 et 16 ans en uniforme militaire. C'est le corps des cadets de Aigue-Dessous. Défilé, marche au pas, salut, hissé des couleurs, démonstration de tir au fusil d'exercice et au canon d'apparat.

      Puis les villageois regagnent leur demeure.

      Unes à unes, quelques persiennes sont tirées pour protéger les siestes dominicales de l'ardeur du soleil.

    45. Carrière et route, matin suivant bien entamé [V1: 20]

    46. Où deux comédiens se préparent à enter en scène.

      Un soleil déjà haut et chaud et des cloches lointaines réveillent Ignace et Hugo. Au bord de la carrière où ils ont passé la nuit, il y a une fontaine qui jouxte des tas de charbon, de sciure et de poudre de pierre. Au lieu de l'eau, ils se barbouillent joyeusement avec les différentes sortes de poussière, chacun faisant pour l'autre office de maquilleur.

    47.  Aigue-Dessous et environ, aux heures de la sieste [V1: 21-]

    48. Où la première du nouveau numéro est un bide.

      Torpeur. La route monte mollement, écrasée par la chaleur parmi les champs d'avoine rasés. Au détour du chemin, Ignace et Hugo découvrent le village tout proche. Ignace fixe rapidement le boulet à sa cheville, se lance dans quelques exercices d'assouplissement et fait craquer ses jointures. Hugo contrôle le chargement de ses armes. L'exhibition commence. Ignace avance à reculons, en traînant les pieds. Hugo est à cheval. Ignace l'encourage à se monter plus terrible. Hugo s'échauffe peu à peu. Ignace l'invite à tirer. Hugo tire, Ignace saute de droite et de gauche pour éviter les balles fictives.

      C'est valsant de façon assez pathétique, sous les tirs d'un Rodrigo Bandito plutôt crédible, qu'Uncle Tom fait son entrée dans un Aigue-Dessous désert entièrement dévoué à la sieste.

      Au centre de la place, le chasseur de prime décharge une dernière fois ses armes et l'esclave s'effondre. Rodrigo descend de cheval et vient voir sa victime. A voix basse, celle-ci lui dit de mettre son pied sur lui. Bandido pose alors une botte conquérante sur le corps d'une proie qui lui propose maintenant de saluer. Rodrigo Bandido retire son sombrero et salue, le village demeure silencieux et désert. L'esclave bouge pour que le chasseur de prime retire son pied, l'esclave se lève, ramasse son chapeau melon qui avait roulé dans sa chute et salue aussi. Leurs regards scrutent les balcons et les fenêtres. Une ou deux têtes apparaissent, globalement hostiles et méfiantes. Il y en a un qui crache.

      La porte de chez Ribatel s'ouvre et Ribatel paraît. Il ordonne aux deux comédiens de foutre le camp aussi sec! Il met en garde ses concitoyens. Il s'agit encore une fois de cette racaille de saltimbanques! Il rentre un instant et ressort avec son fusil. Qu'ils décampent, sinon gare! Suzanne pousse son père pour pouvoir passer, s'avance au centre de la place, prend le chapeau qu'Ignace tient encore, y glisse un petit billet de banque, leur fait un sourire, les félicite et revient vers la maison. Ribatel tire pour de bon, Ignace, Hugo et la jument sautent cette fois pour de vrai, et s'enfuie par le haut du village. Ils sont précédés par un Gaspard réjoui et terrifié qui les observe et se cache.

    49. Aigue-Dessus et environ, en fin de sieste [V1:21-]

    50. Du succès de la deuxième représentation et de ses heureuses conséquences.

      ...

      Toujours pendant les heures de plomb ¾ mais la lumière s'adoucit un peu ¾ , sur la place d'Aigue-Dessus. Trois très jeunes gamins s'amusent vers la fontaine. Ils ont dégoté des fonds de bouteilles qu'ils déversent dans le bassin. Une mère apparaît à son balcon et leur crie gentiment d'arrêter. Les gens de Dessous vont encore les accuser d'être des empoisonneur d'eau!

      A la hauteur de l'église, Hugo et Ignace rattrapent Dulcinea. Hugo veut tout arrêter, Ignace veut essayer encore une fois. Gaspard les précède par les champs.

      Gaspard débouche sur la place, ravi d'être terrifié. Il annonce l'arrivée d'un danger terrible. Terrriiible! Sa voix devient suraiguë. Coups de feu. La mère descend ramasser ses enfants, jette un coup d'oeil modérément inquiet. Ce n'est sans doute les cadets d'en bas qui font les crétins. Gaspard repart d'où il vient, en direction des quelques coups de feu.

      Commencé sur le chemin déjà, le jeu d'Ignace et Hugo manque d'abord de conviction. Surtout chez Hugo. Pour le chauffer Ignace l'insulte à voix basse. Soudain Hugo repère Gaspard dans un taillis. Ce regard de spectateur espion lui donne sa dimension de comédien. D'un coup, il devient plus terrible qu'il ne l'a jamais été. Il fait pleuvoir les balles sur le pauvre esclave qui danse comme il peut. Il le pousse avec le museau de sa monture, le fait tomber, plonge pour le relever et le pousser encore, l'enjoint à avancer plus vite, ceci avec des cris terribles en espagnol, auquel répondent les pleurs et les supplications d'un Ignace pris au jeu. Ils arrivent au centre de la place. Uncle Tom tombe, se relève, Rodrigo Bandido tire à bout portant, Uncle Tom s'effondre et ne se relève plus. L'effroyable Mexicain saute à terre, pousse du pied le corps sans vie, ricane et l'écrase d'une botte vengeresse et triomphante. Il retire son sombrero et salue. Gaspard pousse des ouöuïouï! et des bravos si surprenants que quelques têtes émergent, cherchant dans les réactions de l'idiot une explication à ces étranges événements. Deux femmes, une jeune et une vieille, s'avancent courageusement vers la victime. Elles ont un mouvement de retrait quand le mort se lève et salue à son tour.

      Suzanne les a suivis. Elle assiste à la scène depuis l'entrée du village.

      Hugo et Ignace, leur chapeau en avant, saluent et commencent leur quête. D'abord tourné vers les maisons, pour ne pas effrayer les femmes audacieuses et encore toutes surprises. Ils se présentent. Les spectateurs ont eu la chance et l'honneur d'assister à la représentation, terrible et douloureuse, d'un malheureux esclave lâchement abattu par un chasseur de prime très vil. D'avance, ils remercient le public de sa générosité.

      Peu à peu, les gens se pointent à leurs fenêtres et lance un peu de monnaie, les portes s'ouvrent. Soudain inspiré, Hugo leur dit sa terrible soif. Un flacon de vin fait son apparition, quelques tables font office de terrasse d'auberge. Déjà Gaspard commente dans son charabia les exploits de ses héros. Hugo invite les gens à s'approcher, à l'admirer, à le toucher. Et tout à coup, improvise. Il va leur raconter leur vraie histoire à eux deux. Il se laisse tomber sur une chaise, les habitants l'entourent, les enfants viennent se mettre au premier rangs, Gaspard s'infiltre parmi eux. Quelques petits malins apportent des chaises aux vieux, dont ils négocient savamment l'usage.

      Hugo commence le récit de leur aventure. Mais son français est trop mauvais, sa narration hésitante. Il se reprend, se trompe, s'embrouille. Les gens sont complètement ahuris, ils n'y comprennent rien. Ignace s'avance, interrompt Hugo en lui posant une main sur le bras. Et commence...

    51. Aigue-Dessus, la nuit [V1:21-,27-]

    52. Où une joyeuse fête improvisée se termine par un heureux événement.

      La nuit est presque tombée. On a apporté des lampes. Tout le village fait cercle autour d'Ignace et Hugo. Ignace a finit son récit. Un adolescent demande à voir la femme. Ignace hésite puis fait circuler sa montre. Beaucoup disent combien la femme est belle. Ignace rappelle qu'elle a peut-être soixante ans maintenant. Une vieille fait remarquer qu'on peut être vieille et belle. Ignace la regarde, il est d'accord. Mais la femme est inconnue ici. Un gamin veut qu'il raconte pourquoi il s'appelle Ignace Napoléon. Ignace dit que c'est une très longue histoire. Suzanne est restée debout, appuyée à un pilier, sereine.

      Les enfants sont couchés, les tables jonchées de bouteilles vides, la nuit noire, les lampes vacillantes. On a sorti un accordéon et un violon, quelques couples danses. Timide, Hugo joue un Casanova truculent. Suzanne danse tranquillement avec Ignace. Certaines femmes trouvent qu'elle exagère. D'autres rappellent qu'elle en a besoin, c'est pour très bientôt.

      Soudain Suzanne s'arrête et s'appuie à une table. Sa robe est inondée. Les femmes accourent. Suzanne a perdu les eaux. Il faut la ramener à Dessous. Mais son ventre est agité, elle gémit. Et la sage-femme qui est partie chez des parents à elle! Qu'on envoie quelqu'un au village voisin! Ignace intervient. Il prend Suzanne par le bras, lui dit de s'appuyer contre lui. Il demande un drap propre et qu'on apporte du charbon de bois. Il emmène Suzanne vers un champ. Les gens sont si étonné qu'ils ne disent rien, certains les suivent. Ignace installe Suzanne sur le drap. Il fait un peu éloigner les lumières. Il pose ses mains sur le ventre de Suzanne. Il se met à chanter un rythme lent, a deux temps, très grave. Quelqu'un a trouvé une guimbarde pour soutenir ce chant insolite. Tout à coup, Suzanne se tord violemment. Ignace l'aide à s'accroupir. Il la calme, il l'aide, il accompagne l'enfant qui arrive. Il dit à la guimbarde de continuer. Les gens sont restés, totalement étonnées mais les commentaires sont rares. On entend un petit cri. Ignace demande qu'on lui passe le charbon. Il annonce, c'est une fille. Il se penche vers Suzanne, demande comment elle s'appelle. Suzanne dit Malika, les gens répète ce nom étonnant.

      Premières lueurs de l'aube. Ignace aide Suzanne à se lever. Avec les villageois qui ont assisté à la naissance, ils reviennent sur la place. On entend une étrange musique, chantée, inconnue ici. C'est Hugo. Assis près d'une lampe qui s'éteint, il chante, du tango. Il s'accompagne à la guitare. Sa guitare n'est qu'une planche à lessive mais sa voix est belle, douce et nostalgique.

      Quelqu'un a préparé un char. On aide Suzanne a monter. On lui donne l'enfant. Ignace veut grimper à côté d'elle. On le retient. On est désolé mais il ne serait pas du tout bien reçu à Dessous. Le char part. Hugo chante. Le jour se lève.

    53. Scènes de la vie nouvelle à Aigue-Dessus, à Aigue-Dessous et sur les routes avec Bidone. [V1:30-,31-]

    54. Où Ignace et Hugo jouissent de la vie sans se soucier des dangers qui les guettent.

      Hugo fait la sieste dans un hamac qu'il s'est bricolé et que Gaspard berce tranquillement. Dans l'ombre épaisse d'un porche, Ignace lit son Homère.

      Chez elle, Suzanne nourrit Malika.

      Fin d'après-midi. Hugo, armé, fait le matamore. Gaspard l'imite. Quelqu'un lui a découpé une silhouette de petit fusil dans une planche qu'il ne lâche plus. Ils sont entourés des enfants du village qui se sentent en même temps spectateurs et acteurs.

      Suzanne interdit l'accès de sa chambre à son père.

      Tôt matin. Hugo, suivi de Gaspard, trouve Ignace torse nu qui se lave à la fontaine. À côté de lui, des habits propres. Hugo l'observe inquiet. Et Lui? Il a peur de l'eau? Bougon, Hugo montre les habits. Ignace a-t-il l'intention de mettre ça? En guise de réponse Ignace enfile la veste de toile. Et lui? il compte rester comme ça? Hugo rappelle: avant il était docker; pour lui, c'est mieux maintenant ¾ d'un petit mouvement de tête il montre comme il est. Plutôt que de se lancer dans des explications, il hèle les enfants qui le surveillent de loin, sort ses revolvers et part jouer avec eux. Ignace l'observe en terminant de se changer.

      Plus tard. Ignace travaille aux champs. Hugo aide à monter un mur.

      Même heure. Bidone et sa troupe. Ils arrivent à la ferme de la jeune fille et de la poule. Bidone est plus rouge que d'habitude, très poussiéreux. La bande des garçons de piste est menaçante, armées de marteaux, de fourches ou de fouets. Un des musiciens a dégoté un tromblon. Pierrot, chargé comme un mulet, réticent, toujours morveux est à la traîne. Quitte à prendre des baffes, il répète qu'il veut rentrer au cirque.

      Ribatel interdit l'accès de sa maison aux femmes qui voudraient voir l'enfant.

      Hugo rejoint Ignace. On pique-nique dans l'herbe.

      Après-midi. Ribatel hurle dans sa maison. La petite fille est noire!

      Même moment. La vieille avec ses chèvres indique une direction à Bidone et sa bande.

      Sur la place, Ribatel insulte la colline, sa petite-fille est noire! C'est un coup des saltimbanques! c'est un coup des saltimbanques! Il va leur faire la peau. Quelqu'un lui fait remarquer que ceux de maintenant n'y sont pour rien. On lui rappelle ¾ ce qu'il ne sait que trop ¾ l'ann passé, le cirque, le pakistanais. Il ne veut rien entendre, c'est tout la même engeance! En fait, qu'est-ce qu'ils en savent! Si la couleur de peau, c'était contagieux?

      Nuit. Hugo explique sa musique au violoneux en utilisant le violon comme une guitare.

      Matin. Sur le pas de sa porte un aubergiste secoue la tête. Jamais vu. Bidone et sa bande ne savent plus trop où aller, ils prennent au hasard.

      Petite musique de nuit. Les gens du village autour d'Hugo avec l'accordéoniste et le violoneux.

      Au matin, un de villageois revient de la ville. Il rapporte un journal récent pour Ignace.

    55. Dans et à l'ouest du le village, matin [V1:31-]

    56. Où Gaspard prévient ses deux amis d'un grand danger à l'ouest.

      Gaspard débarque dans le village où Ignace aide à battre le blé et Hugo à monter le mur. Il crie, il hurle, il est épouvanté, à un tel point qu'on lui prête un peu d'attention. Il bégaie. Bi! bi! Bidone! Il fait de grands gestes derrière lui. Le diiiiirecteur! Un instant il rit, trop fier d'avoir trouver un mot si difficile et précis, puis il redevient terrifié. Il saisit Hugo par la manche. Hugo le suit, Ignace les rejoint. Gaspard les conduit sur l'autre versant. Un groupe d'hommes grimpent la pente en ordre dispersé, la silhouette de Bidone est immédiatement reconnaissable. Ignace, Hugo et Gaspard battent en retrait. Les gens d'ici seraient sans doute d'accord de les cacher. Hugo proteste, en aucun cas il ne veut leur attirer des ennuis et encore moins se terrer comme un rat. Il affirme ça avec prestance et autorité. Comme ce n'est pas le moment de discuter Ignace accepte, mais refuse absolument qu'on emmène Dulcinea qui a droit a une retraite méritée. Hugo récupère les sacoches et ils s'esquivent, discrètement car le village ne les laisserait pas partir ainsi. Ils sont bien obligés de prendre Gaspard avec eux, celui-ci ne les lâche plus d'une semelle.

    57. À l'est du village, juste après [V1:31-]

    58. Où Suzanne prévient ses trois amis d'une terrible menace à l'est.

      Les trois fugitifs arrivent à bifurcation de l'église en même temps que Suzanne avec son bébé, la petite Malika, dont la peau est devenue d'une beau brun foncé. Tout heureux de cette surprise, Ignace les accueille à bras grands ouverts. Mais Suzanne est aussi agitée que Gaspard. Elle peine à retrouver son souffle, ses mots, elle est affolée. Elle désigne le village. Son père ne l'écoute plus, il est comme fou! ! À cause de la petite. Il est persuadé que c'est la faute d'Ignace. Il est dangereux, il excite les gamins! Ils doivent s'enfuient au plus vite ¾ ce qu'ils font déjà. Gaspard hurle. Les voilà!

      Traqués, ils repartent vers le haut. Ils évitent le village et aboutissent sur la crête.

    59. La traque, village, versant et crête, même moment [V1:31-,32-]

    60. Où les fugitifs se retrouve en position d'assiégés.

      Bidone et sa bande ont investi le village. Les gens font comme si ces visiteurs inquiétants étaient transparents ou alors leur opposent un visage de mur, hostile, fermé. La bande fouine à gauche et à droite. Pierrot fait des singes de connivence aux villageois pour qu'ils mettent Bidone sur de fausses pistes. Bidone remarque une femme en train de retirer la fameuse salopette d'un étendage où elle sèche au vu de tous. Bidone explose. Il menace de rétorsions variées dignes de ses successeurs modernes. Igor l'appelle. Il l'entraîne à la sortie du village et lui montre trois silhouettes qui fuient sur la crête, une crête terminée par la masse sombre d'une ruine imposante.

      Ribatel renonce à maintenir la formation. Armés de leurs petits fusils d'exercice, les cadets sont lancés en désordre dans la grimpée. Ils sont excités comme des insectes, sous les exhortations de Ribatel qui peine à suivre.

      Hugo, Ignace et Gaspard atteignent la ruine. Ils s'abritent derrière les pans de murs encore debout. Hugo sort tout de suite ses revolvers, les charges, en lance un à Ignace, vise en direction de l'armée de Ribatel et tire. Gaspard pousse un cri triomphant.

      Les cadets reculent et se renversent comme un jeu de carte. À son tour Hugo pousse un cri de triomphe et Gaspard essaie encore d'applaudir.

      Ribatel ordonne le retrait et organise un avant-poste.

      Ignace signale que Bidone est en vue de l'autre côté. Mais la bande s'est immobilisée au bruit de la détonation.

      Pierrot est fou d'inquiétude. Il ne voit pas comment arrêter ça. Sans craindre les baffes, il supplie. Il bluffe, il invente. Ignace et Hugo peuvent être très dangereux! Que deviendrait le cirque si Bidone était blessé! Et Éva? définitivement orpheline! Elle les attend! elle a besoin d'eux! Laissons tomber, rentrons! Enfin Bidone le gifle, même si lui-même n'a plus l'air tout à fait décidé. Pour l'instant, on attend.

    61. Après-midi, veillée d'arme dans la ruine et sur les lignes [V1:32-]

    62. Où au hasard des préparatifs de combat, la quête d'Ignace en prend un sacré coup.

      Cloches de vache. Par les ouvertures, Hugo surveille le général Ribatel qui organise ses lignes. Gaspard monte la garde sur le pourtour de la ruine, toujours avec son fusil jouet. Il s'est inventé un protocole si stricte qu'il en oublie ses tiques ¾ il ferait une excellante recrue pour Ribatel.

      Entre les camps ennemis, il y a un troupeau qui broute. Curieuses, les vaches viennent jeter un coup d'oeil sur l'agitation insolite à l'intérieur de la ruine. Jusqu'à ce que Gaspard les chasse. L'activité d'Ignace semble particulièrement les intéresser. Il s'est installé sur une grosse pierre plate où sont déjà alignées des dizaines de cartouches prêtes. Les douilles vides sont dans les sacoches.

      Du côté de Bidone, il ne se passe étonnamment rien, sa bande et lui regardent et attendent.

      Ignace se marrre parce qu'Hugo dispose les faux bâtons de dynamite à chaque ouverture. Pourtant, utilisés au tout dernier moment, ils peuvent créer un instant de panique! Magnifique et noble, Hugo inspecte et organise.

      Les munitions que prépare Ignace sont comme toujours à blanc. Au lieu des balles de plomb, Ignace met des petits rouleaux de papier. Avant de sacrifier pour cela les pages du journal que les événements ne lui ont pas laissé le temps de lire, il y jette un rapide coup d'oeil. Soudain il hurle. Hugo se retourner. Ignace est tout pâle. Il tient sa montre ouverte au-dessus de journal ouvert. Et il jure, avec une rage sourde. Hugo vient vers lui, Ignace lui tend le journal. Dedans il y a une reproduction de "La liberté guidant le peuple", le tableau de Delacroix. Bien sûr Hugo y reconnaît la femme que recherchait Ignace. Il rend le journal à Ignace pour qu'il lui lise les titres et lui donne des explications.

      Comme un automate, Ignace ramasse son revolver, le charge et gagne son poste. Ils peuvent venir, il est prêt. Avant il n'était pas tout à fait chaud, mais maintenant il est parfaitement d'accord de mourir. Les jésuites sont ce que la Création a produit de pire!

      Heureusement pour Hugo qui ne sait trop comment réagir, les choses se précisent du côté de Ribatel. Ils vont attaquer. Pour cette histoire, on verra après. S'il y a encore un après.

    63. Même Après-midi, combat [V1:32-]

    64. Où l'on déplore la perte d'une vache et quelques blessés.

      Roulement de tambour, Ribatel. Sonnerie de fifre, un des gamins. Coup de sifflet, Ribatel. Assaut, les gamins. Exhortation, Ribatel. Ils montent. Ribatel ordonne de mettre en joue. Voyant que Bidone reste tranquille, Ignace passe vers Hugo. Hugo lui dit d'attendre son signal. Ribatel crie feu. Les cadets tirent. Les balles ricochent contre la muraille. Hugo et Ignace ripostent. Les gamins blafards sont étonnés de n'être touché par aucune balle. Ribatel ordonne de recharger et se de répartir sur deux linges. Bidone et sa bande s'approchent. Feu! La première ligne, trois cadets, tire. Hugo allume un bâton de dynamite, les cadets battent en retrait et se tombent à nouveau se l'un sur l'autre. Bidone et sa bande sont sur la crête, au sud de la ruine, mais sans paraître résolument hostiles. Hugo est en place, un faux bâton de dynamite entre les dents, les armes chargées. Tirs nourris. Hugo s'apprête à jeter une deuxième charge. Tout à coup il gémit, son bras s'immobilise. Le gamin qui a tiré presque à bout portant le regarde tout étonné. Une tache rouge gagne le bras du faux mexicain. Ribatel hurle, la deuxième ligne tire en pagaille. On entend la chute d'un corps. Une vache a été touchée. Le jeune tireur, qui sait la valeur du bétail, jure. Bruit d'un autre corps qui choit. Les gamins cherchent une autre victime, mais le troupeau s'est enfui. Par contre il y a du grabuge du côté des gens du cirque. Bidone a été touché par une balle perdue. Ribatel est décontenancé. Il hésite, donne des ordres confus, les gamins râlent, il ordonne une trêve.

      Ignace vole au secours d'Hugo qui s'appuie contre un mur, les dents serrée, la manche bien rouge.

    65. Nuit, trêve [V1:33-]

    66. Où Ignace et Hugo décident de finir en héros.

      Nuit complète. Légers bruits de cloches, quelques vaches broutent encore.

      Dans la ruine, autour d'un petit feu, Gaspard dort en boule, Hugo et Ignace sont assis l'un à côte de l'autre, appuyés contre le mur. Hugo a le bras blessé hors de la veste, pansé avec la chemise d'Ignace transformée en bandages. Le sang à coagulé. Or c'est Ignace qui est totalement démoralisé. Le père jésuite est bien la pire ordure qu'il ait jamais rencontrée. Ce salaud ne lui a donné un peu d'éducation que pour mieux lui faire sentir son ignorance, que pour mieux se moquer de lui, pour le déraciner, loin des siens, loin de son pays, loin de sa culture! Hugo essaie de le réconforter. Qu'il se rassure, demain matin ils vont mourir! Ils peuvent le faire avec panache, en héros! Ce sera leur dernier numéro! Hugo s'exalte. Mourir debout plutôt que de vivre en esclave! Lugubre, Ignace fait remarquer que ce sera de la même mort que son affreux père jésuite!

      Le feu brûle un peu plus fort. Ignace lit à haute voix et traduit le passage sur la mort d'Hector. Hugo a les yeux brillants. Il ne peut s'empêcher de manifester son enthousiasme.

      Le ciel vire au bleu. Hugo et Ignace sont appuyé l'un contre l'autre. Ils ont l'air très vague mais ne dorment pas. Tout à coup, Hugo demande à Ignace de prendre quelque chose dans la poche de sa veste, sous son bras invalide. Ignace en retire deux douilles chargées de vraies balles. Hugo rit. Il les avait mises de côté pour se garder la possibilité de lui faire la peau. Par exemple au cirque, en plein numéro. Ignace rit. Il ouvre la petite poche qu'il porte toujours autour du cou. Il en sort les deux balles tout aussi vraies qu'il avait subtilisées. Ils rient doucement. Il les jette dans le feu. Hugo rit et jette les siennes. Ils surveillent les flammes. Il y a quatre explosions successives et un impact juste derrière la tête d'Ignace. Gaspard bondit sur ses pieds, son fusil de bois en avant.

    67. Sur le champ de bataille, imminence du combat, matin [V1:35]

    68. Où la liberté guide le peuple.

      Il fait grand jour. Ribatel et ses troupes ont investi la crête. Ils y ont apporté le petit canon de cérémonie. Il est pointé sur la ruine silencieuse. Les soldats de pacotille sont alignés, Ribatel est prêt avec son tambour, le fifre aussi. Mais un paysan débarque en râlant. Qu'ils attendent au moins qu'il ait enlevé ses vaches! Cris de rassemblement, sonnailles bruyantes. La ruine est encore dans l'ombre, rien n'y bouge. Ribatel au tambour, son fifre au fifre. Mais il est interrompu par l'arrivée de Bidone, le ventre ceint d'un gros bandage, porté sur une chaise de fortune par Igor et un des musiciens. Il doit parler avec Ribatel, il n'est plus d'accord. Discussion, colère de Ribatel qui oblige Bidone à faire marche arrière. Toute la population d'Aigue-Dessus à rejoint la crête et attend, inquiète et hostile. Celle d'Aigue-Dessous arrive aussi, interloquée et partagée.

      Roulement de tambour, sonnerie de fifre, Ribatel ordonne d'allumer le canon. On approche la flamme. Mais la ligne est traversée par une jeune femme qui marche d'un pas décidé avec son bébé au sein. C'est Suzanne, elle passe sans un regard pour son père. A mi-distance entre la ligne et la ruine elle s'arrête, marque une hésitation, soulève ses jupes, retire sa culotte, un joli caleçon en dentelle coloré, qu'elle enfile au sommet d'un bout de bois. C'est son drapeau blanc. Elle arrive à la ruine et découvre Hugo et Ignace qui dorment à poing fermé, appuyés l'un sur l'autre, avec Gaspard pelotonné contre eux.

      Ignace ouvre les yeux. Suzanne se détache dans l'encadrement de la ruine, un sein nu, le drapeau blanc dressé. Gaspard se glisse à côté d'elle. Ignace se frotte les yeux. Il attrape la maudite page du journal qui traîne encore à côté de lui. Il compare. C'est comme une reproduction vivante du tableau. Il sourit. Il se lève. Il s'avance. Hugo se réveille à son tour et à son tour regarde le journal.

      Ribatel s'impatiente. Rien ne bouge. Les garçons peinent à garder la position.

      Ignace joue avec Malika. Suzanne est tout prêt de lui. Hugo est debout, il regarde la scène, jette des coups d'oeil discrets et furtifs sur l'ennemi, se tient le menton et réfléchit. Tout à coup décidé, il dit à Suzanne qu'il doit parler avec Ignace. Suzanne est d'accord, elle leur laisse le drapeau.

      L'ennemi voit redescendre Suzanne et le bébé.

    69. Même lieu, un peu plus tard[V1:35]

    70. De la reddition des rebelles.

      La lumière est un peu plus verticale. La discipline s'est relâchée.

      Soudain dans la ruine, une culotte s'agite. Gaspard apparaît brandissant avec une véhémence désordonnée le drapeau blanc. Puis Hugo et Ignace.

      En bas l'armée de Ribatel est désemparée, la population impatiente et curieuse.

      Les trois insurgés descendent. Ignace aide Hugo. Ils arrivent vers Ribatel. Celui-ci leur passe les menottes. On les emmène. Suzanne les suit, émue et inquiète. Ignace lui fait des signes encourageants et Hugo des clins d'oeil, les choses s'arrangeront.

      Ils arrivent devant Bidone que ses sbires ont appuyé contre un arbre. Il regarde Hugo. Hugo aussi le regarde. Le regard de Bidon est dépourvu de Haine. Une conversation muette s'amorce entre eux, elle laisse entendre quelque chose de plus que la simple commisération dans la souffrance. Ribatel force ses prisonniers à avancer. La foule proteste, encourages les rebelles, se regroupent derrière eux. La frontière entre les deux publics s'estompe, Aigue-Dessous et Dessus s'entremêlant.

    71. Prison, jour [V1: 37]

    72.  

       
       

      Où un docker argentin apprend enfin à lire en grec ancien.

      Un couloir aux murs épais, mais bien éclairé par le jour. Un Bidone souriant dans une chaise roulante flambant neuve poussée vers la sortie par Pierrot. Du font parviennent les échos réverbérés de vers grecs anciens scandés à deux voix.

      Une salle un peu plus large. Un banc. Suzanne nourrit Malika. Ignace, bien habillé, plutôt élégant, est assis sur une chaise tout contre une grosse grille. Il tient le vieux livre ouvert à travers les barreaux. De l'autre côté, Hugo en pyjama rayé, souriant, l'air content, déchiffre les lignes du livre puis répète, tout ébloui, cinq vers entier. Ignace le félicite, Hugo se perd en remerciements. Pour Ignace, les engagements sont les engagements, il ne fait que tenir sa promesse, Hugo a tout pris sur lui.

      Un gardien pointe son nez. Ignace et Suzanne se lèvent. Hugo les rappelle. Bidone pense réussir à lui obtenir une remise de peine. Et il l'attend au cirque! Hugo sait que désormais la vraie vie ce sera le jeu, le spectacle! Hugo à une vague inquiétude: Et Ignace? Celui-ci rappelle qu'en fait, dans sa famille, on a toujours été agriculteur. Et qu'il a charge d'âmes! Mais ils attendront la sortie d'Hugo pour le baptême de la petite.

      Resté seul Hugo se regonfle et murmure ravi et triomphant le futur nom du cirque: Cirque Bidone et Montero! Il se penche à la toute petite fenêtre de sa cellule. Il peut voir les autres en train de quitter la prison.

    73. Sur la route qui quitte la prison, fin du jour [V1: 38~]
D'un chemin qui mène sûrement vers des lendemains qui chantent.

Sur le chemin, marchant en tête, d'un bon pas, Ignace. Il porte le bébé. Suzanne est à son bras. Derrière eux, la chaise roulante d'Éva, poussée par Pierrot, celle de Bidone dont le visage rayonne au point d'en paraître débonnaire, poussée par Igor. Derrière, toute l'équipe du cirque et quelques habitants d'Aigue-Dessus.

Pierrot demande à Ignace de raconter. Ignace ne sait plus quoi raconter mais Pierrot, lui, il sait. Tous voudraient enfin savoir pourquoi diable Ignace s'appelle Ignace, et pourquoi diable Napoléon. Oui! Oui! Ignace veut bien raconter, mais c'est une longue histoire. Tous aiment les longues histoires.

Gaspard ferme la marche. Quelquefois il se retourne et fait des signes à une petite ouverture dans la muraille. Puis il essaie à applaudir. Il arrive à applaudir. Il rit du plaisir de savoir enfin applaudir.

Hugo regarde les silhouettes qui se perdent dans le soir.

Depuis un moment, le générique a commencé à défiler, accompagné par la petite valse qui a toujours été le thème musical de toute l'histoire.

FIN

© textes et illustrations: CinÉthique, Olivier Sillig.


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