Le Temps, mardi 25 avril 2006 |
Olivier Sillig supporte mal
l'inactivité. Alors il crée et
il bricole : des livres, des films, des photos et des dessins, des
mises
en scène, des lampes, des petits bateaux fantômes qu'on
peut visiter sur son
site (http ://www.perso.ch/olivier...). Et des enfants, deux
filles
maintenant grandes : «C'est ce que j'ai le mieux aimé
faire. C'était
facile, toujours. Les enfants vous obligent à devenir
adulte.» Longtemps, il a
erré sur des sentiers de traverse : l'Ecole nouvelle qui a
accueilli cet
élève dysorthographique, un an de formation aux
beaux-arts à Londres, des
études de psychologie à Genève et à Aix.
Après quelques mois de pratique, il a compris que sa
vocation n'était pas de «martyriser les petits
enfants» pour les plier à des
schémas préconçus. Ce fils d'architecte s'est
tourné vers les ordinateurs. La
Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne
s'informatisait : il a
travaillé à l'établissement du programme Sibil,
entre 1980 et 1994. Activités
professionnelles qu'il interrompait d'années sabbatiques pour
monter des
spectacles avec sa femme italienne et ses filles, tourner des courts
métrages,
peindre et écrire, surtout, écrire. La petite
étagère qui soutient ses œuvres
provisoirement complètes ne comprend que quatre titres et des
ouvrages
collectifs (textes érotiques, nouvelles policières...).
Mais Olivier Sillig a
en réserve une dizaine de titres en quête
d'éditeurs.
Le premier roman publié s'intitule Bzjeurd (L'Atalante,
1995, repris en Folio SF). Cataloguée science-fiction, cette
œuvre étonnante n'entre
dans aucune catégorie : «J'aime inventer mes
univers», dit l'auteur. La
Marche du loup donne l'élan aux Editions Encre fraîche,
qui inaugurent leur
maison en 2004 avec ce remarquable roman pseudo-historique dont le
héros est un
enfant sauvage. Et récidivent en 2006 avec Deux Bons Bougres, un
manuscrit qui
attendait son tour depuis 16 ans. Entre deux, les Editions H & O
publient
une manière de polar, Je dis tue à tous ceux que j'aime.
Olivier Sillig
subvertit les genres littéraires.
Il transgresse aussi les autres genres. Lui qui déclare
préférer la compagnie et le discours des femmes a eu sa
«période gay», à
l'entour de ses cinquante ans, entre 1999 et 2005. Il la déclare
close après
quelques années d'exploration de la scène homosexuelle
lausannoise. Ses «bons
bougres», eux, vivent une très jolie histoire d'amour et
d'amitié, partageant
quelque temps une femme et l'enfant qu'elle leur donne. Deux gamins
jetés dans
les tourmentes du XVIIIe siècle, qui traversent gaiement les
batailles, les
persécutions, les naufrages. Ils finissent par atterrir au
Mexique après un
épisode idyllique sur une île des Caraïbes
peuplée d'Indiens. L'auteur a trop
mis dans ce livre : l'horreur des guerres, la misère des
campagnes, la
rudesse des traversées, le scandale de l'extermination des
Indiens, l'ignominie
de la colonisation et de l'esclavage. Mais son roman tient par son
rythme et sa
générosité même.
Quand un livre est prêt dans sa tête, Olivier Sillig se
trouve une île en Grèce, en Bretagne, où il s'isole
pour écrire. Là il peut
construire en paix et en quelques mots des châteaux et des
flottes. C'est quand
même plus simple que le cinéma, dont il a autrefois
tâté au DAVI à Lausanne.
Quelques courts métrages en sont issus. Mais c'est un
investissement lourd, qui
exige un travail d'équipe, des crédits importants.
Parfois rentables, pourtant :
parmi ses créations, Umbu et Samuel(1995), l'évasion d'un
grand Noir et d'un
petit Blanc enfermés dans le désert, a valu au
cinéaste d'être invité dans de
nombreux festivals, dont le Fespaco au Burkina-Faso. C'est ainsi
qu'Olivier
Sillig s'est découvert une passion pour l'Afrique. «Un
amour réciproque», prétend-il.
Il y a cherché le dernier tirailleur sénégalais de
la guerre de 14-18, en vain!
L'univers d'Olivier Sillig est peuplé de soucis pragmatiques
et de formes étranges. Il est capable de réussites
magnifiques, d'une grande
économie de moyens (Bzjeurd, La Marche du loup), et de
naïvetés déconcertantes
dans certains de ses textes. Il est patient : ses écrits
qui paraissent
dans le désordre chronologique savent attendre l'éditeur
perspicace. Son
imagination est celle d'un poète du quotidien, un bricoleur de
rêves. Tout le
long de sa petite cuisine court une lessive minuscule : deux cents
pièces
de linge, sculptées dans une toile plâtrée
fixées par les virgules de pinces
miniatures. Le balcon, dans le quartier de Saint-Roch, à
Lausanne, donne sur un
préau. «Combien pèse un arbre quand ses feuilles
sortent?» se demande le
locataire qui contemple la cour déserte en ce printemps tardif.
Voilà le genre
de questions qui préoccupent Olivier Sillig, magicien qui sait
faire pousser
des bouteilles vides sur un carré de gazon en plastique pour
soutenir une table
en verre, transformer en bibliothèque un véritable
Frigidaire et armer une
flotte de vaisseaux fantômes.
A l'occasion du Salon
du livre de Genève, «Le Temps» publie une
série de quatre portraits en relation
avec le monde du livre et de l'édition.
© Le Temps, 2006 .
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