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Olivier Sillig, croquis, rue de l'Ale, 7.9.97








Olivier Sillig 


Charognard


J'ai croisé un ami sur le trottoir d'en face
Aujourd'hui c'était comme si chaque pas lui coûtait,
S'enfonçait dans le bitume et y laissait une trace.
Sur ses épaules voûtées, il semblait qu'il portait
Enfermé dans une sphère — sa tête placide et ronde
Bardée de neuroleptiques, qu'il ne gouvernait plus —
Toute la douleur du monde, toute la misère du monde.
J'ai capté son sillage et je m'en suis repu.

J'ai suivi une gamine tout à l'heure dans la rue.
Il flottait derrière elle, légèrement écœurant
Le parfum étonnant de ses premières menstrues,
Une fleur épanouie qu'aucun déodorant
Aussi puissant qu'il soit, peu importe sa fragrance,
Ne parvient à chasser. Toute seule, elle sourit,
Elle avance flattée, elle sait son importance.
J'ai humé son odeur et je m'en suis nourri.

Un jour j'ai remarqué un vieux croquemitaine
Pieds nus, en pantalons et débardeur douteux.
Au goulot d'un machin, plus sculpture que fontaine,
Il faisait ses ablutions. Ses gestes souffreteux,
De moineau déplumé provoquaient une attente
Étonnée et frileuse de gens désemparés
Et mon observation, voyeuse et insistante.
Cet instant d'existence, je m'en suis emparé.

Je suis tombé sur une femme qui sortait d'une auberge
Dans la lumière d'hiver d'un tout premier soleil.
Pour elle c'est son travail, cette nuit dont elle émerge,
Étonnamment fardée et chargée de sommeil.
Abandonnant sur l'heure, endormi dans une piaule,
Un client bedonnant, elle cherche à oublier
Comme il l'a maltraitée en espérant qu'elle miaule.
J'ai fais miens ces souvenirs, j'en suis émoustillé.

J'ai vu un petit jeune. Perdu dans ses histoires,
Divaguant vers la gare il allait zigzaguant
Comme un corniaud errant qui marque son territoire.
Ce gars monté en graine, tout juste adolescent,
Les membres toujours mous, les gestes encore concaves,
Les baskets en dedans, fébrilement des doigts
Se pianotait un rap entendu lors d'une rave.
Son aura débordait, je l'ai prise avec moi.

Je rencontre chaque jour dans la périphérie
D'une nuit qui s'effiloche un enfant frissonnant
Accroché à sa mère. Devant la garderie
Nous traversons ensemble. Fermés, papillonnants,
Ses yeux prolongent encore, sous leurs paupières closes,
Les images en cours d'un rêve inexploré.
Il y a bien trop de vie dans cette toute petite chose.
Ce mioche que je côtoie, il va me dévorer.
                               ***
mars 2003
Croquis: Olivier Sillig, Rue de l'Ale, 7 septembre 1997

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V:04.07.03 (29.03.03)       
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